Le Zimbabwe veut (brutalement) reprendre le contrôle de ses mines

Harare A en croire cette photo, Harare, la capitale de l’Etat africain du Zimbabwe, ressemblerait presque à n’importe quelle capitale moderne. Et pourtant, il n’en est rien. La fin de règne du président-dictateur Robert Mugabe, artisan de l’indépendance du pays voilà un quart de siècle, semble une succession ininterrompue de crises économiques, sociales et politiques. En 2000, c’était l’expropriation des fermiers blancs qui résidaient encore dans le pays. En 2006, sans doute à défaut d’autre ressource, le pouvoir de Mugabe veut « réquisitionner » une partie des mines concédées à des compagnies étrangères, moyennant une indemnité modique…

Voici enfin la suite tant annoncée de notre papier d’avant-hier.

Pour la petite histoire, le film de Sydney Pollack L’Interprète (The Interpreter), sorti en France en juin 2005, qui fut le premier jamais tourné dans les locaux des Nations Unies à New York, avait pour thème central la dénonciation d’un pays d’Afrique au nom imaginaire, mais ressemblant en tous points au Zimbabwe.

Historique express du pays

GreatzimbabweLa Rhodésie a pris le nom de Zimbabwe en 1979. Le nouvel Etat tire son nom d’un des monuments les plus extraordinaires d’Afrique noire (photo), le monument du Grand Zimbabwe. Selon certains archéologues, « Zimbabwe » signifie, en langue Shona, « la grande maison de pierre ».

La ville antique de Zimbabwe s’est développée sur le commerce de matières premières, et notamment d’or grâce aux mines abondantes dès cette époque dans la région. Les liens commerciaux du pays remontaient alors jusque dans les pays arabes. La ville a été abandonnée aux milieu du XVème siècle, vraisemblablement lorsque l’environnement n’a plus été capable de faire vivre la population. Il fallait notamment aller de plus en plus loin de Zimbabwe pour trouver du bois.

Initialement, le Sud de l’Afrique n’a connu les premières présences blanches qu’avec l’arrivée de la Compagnie néerlandaise des Indes, la Jan Compagnie, par opposition à la John Company (la Compagnie britanniques des Indes). La Jan Compagnie installera d’abord au Cap un petit comptoir de ravitaillement pour ses bâtiments en route vers l’Inde et l’Océanie. Puis une présence de Hollandais se développera très progressivement. A la fin du XIXème, les Anglais affirmeront leur domination politique sur le Sud de l’Afrique et amèneront de nouveaux colons. Les Britanniques seront les principaux artisans du développement minier du pays. Cecil J. Rhodes, dont le nom est à l’origine de Rhodésie, est le fondateur de la compagnie diamantifère De Beers. Et le britannique Oppenheimer est à l’origine de l’Anglo American, qui est aujourd’hui le tout premier groupe minier d’Afrique du Sud – et d’ailleurs propriétaire de la De Beers.

En 1965, le chef de la minorité blanche Ian Smith déclare l’indépendance de la Rhodésie. Des mouvements noirs indépendantistes se créent, et aucun pays, pas même l’Afrique du Sud, ne reconnaît cet Etat dont la capitale s’appelait alors Salisbury. Les choses se normalisent dix ans plus tard et en mars 1980, le Zimbabwe African National Union (ZANU), ancien mouvement de résistance armée, gagne les élections. Son chef, Robert Mugabe, deviendra premier ministre rapidement et en 2006, et est toujours président « à vie ».

GreatdykeEn termes géologiques, le Zimbabwe a une particularité : il est traversé en diagonale, sur plus de 500 kilomètres, par le « Great Dyke » (« le grand fossé »).

Cliquez sur la carte ci-contre pour l’agrandir dans une nouvelle fenêtre.

Comme la plupart des pays du Sud de l’Afrique, le Zimbabwe dispose de richesses naturelles importantes. Ce que rappelle le Times britannique du 3 mars dernier : « le pays est riche de nombreuses ressources minérales le long de la ceinture du Grand Dyke [une faille volcanique qui traverse le pays dy Nord au Sud et riche en minéraux de toute sorte, NDLR]. Il contient de l’or, des métaux de base comme du nickel et du chrome, des platinoïdes, du charbon, des minéraux industriels comme le lithium, le tantale et le graphite, en passant par les diamants et de petites quantités d’uranium ». On estime qu’ensemble, Afrique du Sud et Zimbabwe concentrent 90% des réserves mondiales de platine.

L’économie du Zimbabwe plus proche que jamais de la faillite

Selon les dernières données disponibles, seulement 20% de la population active dispose d’un travail. Durant le mois de février, les prix à la consommation ont décollé de 27,5%, bien au-delà de la hausse des salaires. Selon l’Office statistique central du pays, en février, l’inflation des prix à la consommation des douze derniers mois était… de 782%. Le sous-indice de la nourriture et des boissons non alcoolisées a pris 824% ! Selon le CIA Factbook, le PIB devrait afficher un recul de % en 2005. Et un quart des 7 millions d’adultes est séropositif.

Selon la radio d’Etat zimbabwéeenne citée par l’Associated Press (AP), le salaire moyen d’un salarié est de 55 dollars US par mois, quand il lui faut dépenser 90 dollars pour subvenir à ses besoins élémentaires.

Selon les Nations Unies, le quart des 12 millions d’habitants du pays dépendent de l’aide alimentaire internationale. Il faut dire que la saisie des meilleures terres arables du pays , en 2000, au profit d' »amis » du pouvoir corrompus et inexpérimentés n’a pas arrangé les choses. D’autant que l’engagement du pays dans la guerre qui a fait rage au Congo, entre 1998 et 2002, a coûté très cher à un pays à qui le Fonds monétaire international a suspendu son aide, faute de maîtrise budgétaire.

Pour tout arranger, cela s’est combiné avec plusieurs années de sécheresse. Un groupe interparlementaire a prévenu ces dernières semaines que la production agricole du Zimbabwe serait en 2006 la plus basse jamais enregistrée. Alors que l’agriculture, qui représente le cinquième environ du PIB national, emploie les deux tiers des actifs, et fournit de quoi manger à tout le pays.

L’industrie minière, elle, ne contribue qu’à hauteur de 4% du PIB, 4,5% des postes, mais à hauteur de 44% des revenus du pays en devises étrangères, soit 626 millions de dollars l’année passée.

La valeur relative de la monnaie nationale, le dollar zimbabwéen (ZWD), s’est tout simplement effondrée : en janvier 2000, avec 150.000 dollars zimbabwéens, on obtenait presque 4.000 euros. Aujourd’hui, 150.000 dollars du Zimbabwe valent moins de 1,25 euro. Alors qu’au début des années 80, avant l’euro, avec un dollar américain, on obtenait deux dollars zimbabwéens !

Quand Mugabe s’arroge le contrôle des entreprises minières

Robert_mugabe Au tout début du mois de mars, le Ministre des Mines et du Développement minier du Zimbabwe, Amos Midzi, a proposé des amendements aux lois minières en vigueur dans le pays. Le gouvernement, à savoir les hommes du président Robert Mugabe (photo), les a approuvé. Mais la loi n’est pas encore votée.

Pour mémoire, en 2004, le gouvernement d’Harare avait proposé une loi contraignant les compagnies minières opérant dans le pays à céder 49% de leurs parts à des Zimbabwéens noirs. Devant la pression du secteur, il l’avait retiré.

Selon ResourceInvestor, le gouvernement avait initialement proposé que la part zimbabwéenne soit de 15% du capital ; puis il a haussé la proportion de 26 à 30%, « plus près du processus de la charte du ‘black empowerment’ d’Afrique du Sud ». Le ‘black empowerment’ consiste à transférer une partie du capital des entreprises sud-africaines depuis les Blancs vers les Noirs, afin de rééquilibrer le paysage économique.

Voici la teneur du projet de loi de mars 2006, manifestement durci par rapport à la précédente tentative. Selon Midzi, l’idée directrice de ces amendements est « d' »indigéniser » 51% de certaines instances de toutes les compagnies possédées par des capitaux étrangers », selon des propos rapportés par Reuters. Durant les sept prochaines années, l’Etat du Zimbabwe entend donner le contrôle des mines du pays à l’Etat ou à des compagnies zimbabwéennes.

S’il entre en vigueur, le nouveau droit variera selon le type de mine. Pour les mines existantes, voici ce qui est prévu :

  • pour les mines de matières premières énergétiques, de platine et de diamants, l’Etat détiendra à terme une part de 51% du capital. L’opération sera réalisée en deux temps : tout d’abord, dès l’adoption de la loi, les mines existantes sur les zones visées devront céder sans aucune contrepartie de l’Etat 25% de leurs parts sociales. Cadeau ! Puis durant les cinq années suivantes, le solde des parts sera transféré à l’Etat suivant une contrepartie ;
  • pour les mines d’or et d’émeraudes, l’Etat et des compagnies zimbabwéennes détiendront 51% du capital. L’Etat prendra des parts dans les grandes mines d’or seulement.
  • pour les autres types de minéraux, il est prévu que des sociétés zimbabwéennes détiennent au moins la moitié des actions.

Le calendrier : le transfert de propriété sera globalement étalé sur sept ans. 20% du capital sera transféré les deux premières années, 40% les cinq premières années, et la moitié du capital, la cible, au bout de sept ans.

Pour les nouvelles mines, l’Etat ou des compagnies du Zimbabwe devront dès le départ posséder la moitié des parts.

Par ailleurs, un Fonds environnemental sera créé pour veiller au respect des normes de pollution des sites miniers. Il sera alimenté en partie par les compagnies minières. Le projet prévoit aussi la tenue d’un Registre de l’environnement, dans lequel les infractions et les noms des ‘ »délinquants » sera consigné.

Le trouble des compagnies minières internationales

Zimplats_logo_2 Le 6 mars, en Bourse de Johannesbourg, l’action du deuxième producteur mondial de platine, le sud-africain Implats, contraction d’Impala Platinum Holdings(mnémonique local : IMP), chute de 7% a à peine 1.000 rands. Les investisseurs s’inquiètent de ces annonces, alors qu’Implats consolide 86,7% du capital et donc des profits de sa filiale zimbabwéenne Zimplats ; en outre, Implats possède la moitié des parts de la mine Mimosa (cf. carte du Great Dyke plus haut), l’autre moitié revenant à Aquarius (mnémonique : AQP). David Brown, directeur financier du groupe, a qualifié la proposition d’amendenent d’« anti-économique ».

Mais selon le Sunday Times d’Afrique du Sud, cette décision était largement anticipée. Dans son édition du 6 mars, le journal indique que selon Leon Esterhuizen, analyste chez Investec Securities, « Implats est en passe de perdre le tiers ou la moitié de ses intérêts dans le platine au Zimbabwe à l’avenir, mais cette nouvelle était largement intégrée dans les cours du titre ».

La Bourse avant donc anticipé un évènement qui, comme nous l’avons vu, était « dans les tuyaux » depuis plusieurs années. Notons que le CEO d’Implats, Keith Rumble, a confirmé le 17 mars qu’il avait rencontré Robert Mugabe et des membres de son gouvernement le 15 mars dernier. « Ces discussions furent ouvertes et franches et il a été confirmé que la proposition de loi suit toujours son cours », indique un communiqué de la société suivant un ton qu’un diplomate ne renierait pas.

Ap_logo Idem de la part d’AngloPlat (mnémonique local : AMS), numéro un mondial du platine et  filiale du groupe AngloAmerican, qui par la voix de son porte-parole Trevor Raymond a déclaré le 8 mars avoir pris note « avec inquiétude » de la proposition de loi du Zimbabwe. Le site spécialisé ResourceInvestor rapporte que Raymond a ajouté que « pratiquement toutes les mines de platine d’AngloPlat sont situées en Afrique du Sud, mais la compagnie a un projet au Zimbabwe : la mine d’Unki ». Pas de mine, seulement un projet de mine – qui a déjà coûté 20 millions de dollars – à l’horizon 2008 : pour AngloPlat, les conséquences de la mise ne oeuvre de la nouvelle loi seraient donc moins aigues que pour d’autres, notamment Implats.

Rtz La groupe minier géant australo-britannique Rio Tinto (mnémonique à Paris : RTZ), qui détient 78% des parts de la mine de diamants de Morowa, a lui aussi fait part de ses inquiétudes.

Des réactions mitigées au Zimbabwe

L’un des premiers à réagir à cette annonce au Zimbabwe fut Gideon Gono, le président de la banque centrale du pays. Cité par le quotidien gouvernemental Sunday Mail, il a déclaré que la nouvelle loi devrait respecter le droit de propriété, et que sa mise en oeuvre pourrait mettre en danger l’économie du pays. Ainsi que la volonté d’investir et d’apporter leurs technologiques de la part des grands groupes miniers.

Gideon Bono s’est également inquiété de la nature et de la solidité financière des instances zimbabwéennes qui entreront au capital des mines nationales. Il avait critiqué, par le passé, la confiscation des terres des fermiers blancs.

La Chambre des Mines du Zimbabwe, qui rassemble 200 entreprises minières opérant dans le pays, a elle aussi témoigné de son scepticisme. Elle a insinué que ces changements risquent de saper la croissance du secteur minier, traditionnellement tirée par l’investissement étranger. Dans une lettre adressée au gouvernement, la Chambre écrit que « les investisseurs seront contraints de suspendre les dépenses en capital pour la maintenance et le développement, en partie car les institutions financières cesseront de leur proposer des prêts en devises étrangères, puisque ces investisseurs n’auront plus le contrôle de leurs opérations » au Zimbabwe. La Chambre rappelle aussi qu’après avoir exploré la voie des nationalisations qui a entraîné la stagnation du secteur, des pays comme la Zambie et la Tanzanie « ont changé d’avis et ont fait de l’investissement privé la clé des investissements d’exploration et d’exploitation des mines, sans participation directe de l’Etat ».

Mdc Enfin, le principal leader de l’opposition, Morgan Tsvangarai, a appelé le 20 mars dernier a des manifestations de masse contre le régime de Mugabe, sans citer le cas des mines, mais en tentant de profiter de l’occasion. Auparavant, il a appelé la population à se préparer en « économisant et en faisant des provisions pour l’hiver » avant une « froide saison de résistance démocratique pacifique ». D’habitude, le président Mugabe répond en envoyant la police anti-émeutes. Photo : un partisan de Morgan Tsvangarai dans les rues d’Harare, ces derniers jours.

Jusqu’au aller dans ce sens ?

On l’a vu hier, notamment : qu’un Etat s’assure le contrôle de l’exploitation des matières premières que recèle son sol n’a rien d’extraordinaire ni de spécialement blâmable. Vladimir Poutine n’a pas réagi autrement quand la pétrolière russe Yukos a failli être acheté à hauteur de 40% par des majors américaines. Et n’était-ce pas ce qu’ont fait les Saouds quand, dans les années 70, ils nationalisèrent les parts qu’ils ne détenaient pas encore de la compagnie Aramco ?

D’autant que cette tendance globale est confortée par un exemple qui a fait ses premiers pas : le « black empowerment » sud-africain, même si ce dernier a été émaillé par la présence massive de hauts cadres de l’ANC plus que de « vrais » entrepreneurs noirs.

Ce n’est donc pas le fond de la réforme proposée par Mugabe qui détonne, mais la manière brutale de s’y prendre alors que son pays est déjà l’objet de vives critiques de la part de ses voisins, mais aussi des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Ainsi que de mesures de rétorsions des institutions financières internationales. Le tout dans un contexte où le président contrôle par ses nervis quasiment toute la vie politique du pays.

La confiscation sans indemnité de 25% des parts sociales des entreprises du platine et des diamants, répond manifestement à la définition de la brutalité. Quant à l’éventuelle compensation pour le solde du capital revenant à des Zimbabwéens, on se demande bien avec quel argent elle sera payée, vu l’état des finances du pays.

Où en est-on à ce jour ?

Ou en est-on à ce jour ? Le Ministre des Mines Amos Midzi a déclaré hier, selon le journal « officiel » The Herald d’Harare, que « il y a de la croissance dans le secteur minier et nous ne pouvons ignorer les objectifs et les besoins du peuple zimbabwéen de prendre la place qui lui revient dans la propriété » des mines. 

L’agence Reuters rapporte qu’aujourd’hui 22 mars, il a déclaré que « nous ne serons pas déviés de cette politique mais, bien sûr, nous prenons en considération nos rencontres avec l’industrie » minière.

Midzi a aussi déclaré que le projet de loi serait présenté devant le Parlement zimbabwéen avant juillet.

Zimdaily Selon le journal en ligne Zimdaily du 21 mars, qui cite le président de la Chambre des Mines Jack Murewa, « d’autres consultations et d’autres discussions sont encore à venir, et les parties [gouvernement et Chambre des Mines] essaient de préparer une position qui sera considérée comme commune ». Zimdaily rapporte aussi que les propositions portées par Amos Midzi n’ont pas fait l’unanimité au sein du gouvernement, loin de là. Et qu’il est possible que la loi présentée en juillet soit différente de ce qui est actuellement proposé, bref qu’il reste une marge de négociation.

Rappelons que Zimdaily est un quotidien en anglais rédigé par des « professionnels » des médias zimbabwéens en exil. Et qu’il est souvent considéré comme une source d’information de première main sur le pays, en raisons des contacts de ses contributeurs.

A suivre…

(2 commentaires)

  1. Magnifique article, merci Emmanuel.
    « La fin de règne du président-dictateur Robert Mugabe, artisan de l’indépendance du pays voilà un quart de siècle, semble une succession ininterrompue de crises économiques, sociales et politiques. »
    C’est triste de voir ce qu’est devenu la Rhodésie, où mon voisin a vécu et travaillé pdt 20 ans. Il lui reste son chien, un sublime rhodeshian ridgeback http://www.akc.org/breeds/rhodesian_ridgeback/index.cfm, chasseur de lions très impressionnant.
    Il nous garde tout l’immeuble, et personne ne s’en approche. Les chiens changent de troittoir. C’est un animal africain avec qui il faut compter.
    J’aime bien les récits de mon voisin, qui nous parle d’Afrique du Sud et de Rhodésie.

  2. Attention , le sujet revient d’actualité !
    on fait le point ce soir

Les commentaires sont fermés.