A tous points de vue, l’Inde est un mastodonte : d’abord par sa population, qui selon le CIA Factbook devrait se monter à 1,1 milliard d’habitants en juillet 2006 – alors que la Chine devrait en compter 1,3 milliard à cette même date.
Ensuite de par la culture des bijoux de ses habitants, qui n’a d’égale que sa défiance vis-à-vis du système bancaire. Deux bons points pour la consommation d’or indienne, qui pourrait bien connaître un changement important : les consommateurs indiens ne seraient-ils pas en train de reporter leur demande d’or de bijouterie sur l’or d’investissement ?
Mais avant tout, quelques rappels chiffrés illustrant le rapport étroit entre le sous-continent indien et le métal jaune.
Photo : un bijou fabriqué par le joaillier indien Chintamanis, de Mumbai (Bombay), ville côtière de l’Ouest de l’Inde.
Quelques nombres d’or
En 2005, selon GFMS, le cabinet de consulting britannique attitré du World Gold Council, le Conseil mondial de l’Or, l’Inde a consommé 723,7 tonnes d’or, un chiffre en hausse de 17% sur un an (+ 20% en valeur, soit en roupies).
En ne prenant en compte que l’or vendu aux particuliers (bijouterie et investissement), et relativement à une demande mondiale de 3.754 tonnes, la demande indienne pesait 19,2% de l’ensemble en 2005, toujours selon GFMS.
Par segment, la demande locale d’or de bijouterie, qui représente 80% du total, a crû de 14% à 589 tonnes l’année dernière (en valeur : + 20%). Ce n’est pas tout : premier marché mondial des bijoux en or, dont une bonne partie est de facto utilisée comme épargne, l’Inde est aussi – et c’est infiniment moins connu – le premier marché mondial de l’or d’investissement au détail. C’est à dire les pièces, lingots et autres lingotins de métal jaune. En 2005, la demande indienne d’investissement décollé de 34% pour atteindre 134,7 tonnes. En la matière, le numéro deux reste loin derrière : c’est la Turquie, avec un peu plus de 53 tonnes (+ 9% sur un an).
Nous noterons qu’on observe une tendance similaire en Chine : en 2005, la demande chinoise d’or de bijouterie a gagné 8% en volume (à 241,4 tonnes), mais celle d’investissement a pris 20% (à 11,7 tonnes seulement).
Goldman Sachs pessimiste quant au marché indien de l’or
Où voulons-nous en venir ? D’abord à une étude rendue publique mardi 17 mai par la banque américaine Goldman Sachs, que ceux qui adhèrent aux thèses du GATA définissent comme la banque US la plus ‘short’ sur les métaux précieux. Bref !
Citons quelques extraits de cette étude portant spécifiquement sur les ‘BRIC’s (Brésil, Russie, Inde, Chine) : « L’histoire des métaux précieux pourrait bien réserver quelques surprises à ceux pour qui ‘revenus en hausse’ signifie ‘plus de consommation de joaillerie et d’or’. (…) Bien que l’Inde soit le premier consommateur d’or au monde – et c’est aussi de loin le plus important au sein des BRICs – sa consommation d’or a vraiment chuté, tant en volume qu’en pourcentage, depuis 2001″.
Si l’on se réfère la période 2001-2004, nous ne saurions qu’acquiescer : la hausse de la consommation indienne a surtout eu lieu lors du premier semestre, alors que le dernier trimestre 2005 s’est caractérisé par une chute. Ainsi ne savons-nous pas si la tendance haussière de qui apparaît sur 2005 pris dans son ensemble survivra à la hausse des cours de l’or. Mais force est de constater que la hausse enregistrée cette année-là (+ 106 tonnes !) va directement à l’encontre de la conclusion de Goldman. Peut-être car l’Inde a entrepris de libéraliser et de faciliter les conditions d’importation de l’or qu’elle consomme, mais ne produit pas.
Quelle est l’explication de cette baisse de consommation que Goldman Sachs estime tendancielle ? « La récente libéralisation financière pourrait couper l’herbe sous le pied de la principale justification à la détention d’or. Si l’ouverture réglementaire se poursuit, il se pourrait que les hausses de la consommation indienne d’or attendues par nombre d’observateurs n’aient pas lieu », écrit Goldman Sachs.
Acteur de premier sur le marché des actifs financiers, notamment les émissions obligataires (des titres de dettes), Goldman Sachs ne perd pas le sens de ses intérêts. Car à la différence des titres dont il faut assurer l’émission, la conservation, l’annulation etc, la détention d’or, elle, ne rapporte pratiquement aucune commission aux banques. Mais ironiquement, la Bourse de Bombay n’a-t-elle pas perdu jusqu’à 10% en séance ce lundi 22 mai ? Elle a même connu une suspension de séance en laissant 10% en cours de journée, ce qui dénote de la force du sentiment baissier… Il n’est pas certain qu’une correction aussi brutale incite les Indiens à mettre en sommeil leur appétit pour l’or.
Goldman Sachs estimait que l’année dernière, la demande d’or indienne représentait 15% de la demande globale (les données GFMS donnaient 19,2%), contre 20% un an plus tôt. Ce chiffre, en revanche, est plus crédible : GFMS, dont nous avons utilisé les chiffres, a la fâcheuse habitude d' »oublier » dans ses statistiques d’importants pays sur lesquels elle ne dispose pas de données – par exemple l’Iran (voir L’Iran, deuxième marché de l’or du Moyen Orient, 27 avril 2006).
Le producteur d’or sud-africain AngloGold Ashanti (mnémonique, Paris : VA) n’est pas loin de partager l’avis de la banque US : commerçant avec l’Inde, Anglo estime que la consommation d’or indienne pourrait chuter à 650 tonnes en 2006, soit une baisse prévisionnelle d’un peu plus de 11%.
Des acteurs indiens circonspects
Enfin, selon une dépêche Reuters du 16 mai dernier, les courtiers en or indiens interrogés depuis Mumbai (Bombay) par l’agence de presse britannique ne se montrent pas si négatifs. Le 16 mai, Mahesh Sawant, Directeur des Métaux précieux et des changes pour l’IndusInd Bank, a déclaré : « la chute a été si brutale que son élan pourrait entraîner l’or vers 660$ [prévision dépassée : ce 22 mai, sur le marché ‘spot’ de New York, on a touché les 636$…, NDLR]. Mais si les vagues d’achats repartent à ce niveau, les acheteurs vont se ruer sur le marché afin d’en acheter au niveau le plus bas ».
Plus prudent, un important bijoutier de Mumbai, Chintamani Kaigaonkar, dirigeant la chaîne qui porte son nom (Chintamanis), ajoute : « Sans aucun doute, beaucoup de questions entourent le niveau atteint par les prix. Mais les acheteurs pourraient attendre encore un recul des prix pour se remettre à acheter ».
Quand la hausse de l’or stimule la demande d’investissement
ScotiaMocatta, la division Métaux précieux de la canadienne Bank of Nova Scotia ne semble pas faire preuve de pessimisme pour autant. Pour preuve, selon une interview donnée le 15 mai dernier à Reuters par Rajan Venkatesh, son directeur du marketing Métaux précieux pour l’Inde.
Scotia Mocatta, toute canadienne qu’elle est, est un acteur aurifère majeur en Inde : à preuve, elle a importé 225 des 724 tonnes de métal (ou 31%) consommées par l’Inde en 2005. Détail intéressant : selon Venkatesh, si la demande d’investissement a progressé plus fortement que celle de joaillerie, c’est justement en raison de… la hausse des cours.
En effet, au poids, l’or travaillé par un bijoutier coûte plus cher qu’un simple lingot ou une pièce frappée en grande série. Comme une part importante de la demande de bijouterie indienne répond de facto à un impératif d’investissement, les consommateurs se sont naturellement reportés sur de « l’or le moins cher », en lingot, lingotin ou pièces.
Selon Venkatesh, ScotiaMocatta entend bien profiter de l’occasion : « Nous entrons de manière graduelle, mais cependant ferme, sur le marché indien de détail », déclare-t-il à Reuters. « Une série de produits est à l’étude, et elle garnira notre gamme de détail ». Reuters rapporte notamment que ScotiaMocatta a l’intention de proposer à la vente, d’ici décembre, une série de pièces d’or d’investissement douze villes du sous-continent. « Le mois dernier », selon l’agence de presse, « ScotiaMocatta a commencé à vendre des pièces de 5 et 8 grammes » dans trois villes d’Inde.
La banque canadienne, qui ne dispose que de quelques bureaux en Inde, vend ses produits par l’intermédiaire de ses clients, bien souvent des bijoutiers. Et la cible est bien identifiée : « les investisseurs pour ces produits de détails, comme les pièces, sont les profanes, les salariés, et les petits commerçants », déclare Venkatesh. « Et c’est pour eux que nous allons créer une image de marque ».
Contredisant presque Goldman, Rajan Venkatesh conclue : « nous avons observé un transfert gradué et une préférence marquée pour les achats de lingots, les lingotins, et les pièces en tant qu’investissement. Avec des revenus disponibles en hausse, les gens veulent investir dans de tels produits financiers ».
Que de grandes banques indiennes comme ICICI Bank ou HDFC soient déjà présentes sur le créneau ne décourage manifestement pas les nouveaux « entrants ». Un tout jeune acteur, la banque Indian Overseas Bank (IOB), basée à Chennai (Madras), s’est félicité ce lundi 22 mai d’avoir vendu 225 kilogrammes d’or au cours du premier mois de sa toute nouvelle activité de vente de métal jaune. « La première cargaison de 200 kilos a été intégralement vendue », a déclaré V. Krishnaswamy, le directeur général d’IOB. « La seconde, qui pèse 250 kilos, est arrivée », selon des propos recuillis par le site indien Sify. 25 kilos ont déjà été vendus par anticipation, d’où les 225 kilos annoncés. Le directeur général s’attend à vendre entre 1 tonne et 1,5 tonne sur l’ensemble de l’année 2006.
Plus intéressant quant à l’or d’investissement, qui manifestement suscite aussi la convoitise d’IOB : « la banque souhaite introduire des pièces d’or de 100 grammes d’ici peu », précise Sify.
Bref : attention aux Cassandre qui prévoient la chute de la consommation d’or par les Indiens. Attention surtout à ne pas prendre la demande locale de bijoux pour ce qu’elle n’est pas seulement : une passion pour l’esthétique des bijoux. Environ la moitié des bijoux achetés en Inde, d’or comme d’argent, sont destinés à la thésaurisation, à l’accumulation de valeur. C’est pourquoi les bijoux sont souvent revendus – et refondus – en cas de « coup dur ».
Dans un tel contexte, la hausse des cours n’est pas forcément décourageante. Après tout, les actions cessent-elles de se vendre lorsqu’elles montent ?
intéressant !!!! merci
Merci ! Emmanuel !
Je suis un peu dans le creux de la vague en ce moment
mais pas de déprime !
Je me sens bien que quand ça monte !
quelques pertes sur mes derniers achats !
je fais le gros dos et attend le soleil !
@ plus
Fred
Tenez bon,
La correction touche à sa fin…
un grand merci à Emmanuel,
usum
Merci pour toutes ces précisions sur le marché indien.
Cette correction de l’OR n’est probablement pas terminée.
Sur un graph mensuel le cours est toujours en débordement de la bande supérieure de Bollinger.
La logique voudrait que le cours réintègre son enveloppe (au minimum), donc pour une reprise de la hausse il faudra être patient, mais dans le schéma graphique actuel on ne peut voir actuellement aucun signe d’un retournement baissier.
Au contraire, les supports de tendance haussière sont nombreux et ils seront marqués.
La confiance est de rigueur
JC