Le récent accord entre la Russie et la Turquie concernant le gazoduc South Stream va beaucoup plus loin qu’il pourrait n’y paraître aux premiers abords, même si la concrétisation du projet en lui-même provoque d’ores et déjà l’inquiétude des européens.
Alors qu’Ankara a autorisé jeudi Moscou à entreprendre les études pour réaliser le pipeline – concurrent du projet Nabucco – qui reliera la Russie à l’Europe par les eaux turques de la Mer noire, le géant gazier russe Gazprom pourrait notamment participer à la création d’un terminal GNL en Turquie.
Le vice-premier ministre russe en charge de l’énergie, Igor Setchine a en effet annoncé jeudi à Ankara la signature d’un mémorandum entre la division d’exportation du holding russe, Gazpromexport et une société turque dans le but de réaliser un terminal de regazéification de GNL en Turquie.
Cette annonce intervient alors que Moscou et Ankara se sont mis d’accord pour débuter le chantier du gazoduc South Stream, en novembre 2010, après l’obtention de l’autorisation turque de poser la conduite dans ses eaux territoriales.
« Dans le droit fil de l’esprit qui anime nos relations bilatérales, nous avons accédé à la demande de la Russie d’effectuer les études nécessaires pour la réalisation du projet South Stream » dans les eaux turques, a ainsi déclaré le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, lors d’une conférence de presse avec son homologue russe Vladimir Poutine.
Le projet South Stream offre comme avantage à la Russie d’exporter vers l’Europe sans passer par l’Ukraine, pays avec lequel Moscou s’avère être en conflit récurrent dont l’origine trouve – officiellement – sa source dans les tarifs de gaz et de transit d’hydrocarbures. Selon le Kremlin, le pipeline sera alimenté par du gaz en provenance de Russie, d’Asie centrale et du Kazakhstan.
La conduite – dont la création est estimée à 25 milliards d’euros – devrait entrer en service en 2013. Elle devrait notamment transporter 63 milliards de mètres cubes de gaz russe par an sous la mer Noire, en reliant la Russie à la Bulgarie, où elle se divisera en une branche Nord-Ouest vers l’Autriche et une branche Sud, notamment vers la Grèce et l’Italie.
Elément majeur : le pipeline est en concurrence directe avec le projet de gazoduc Nabucco, signé le mois dernier à Ankara. En un géant jeu de diplomatie pétrolière, la Turquie profite ainsi habilement de sa situation géographique stratégique, tout en ménageant la chèvre et le chou. Un des objectifs étant de ne pas brusquer Moscou, son principal partenaire commercial et son principal fournisseur de gaz. Tout en récupérant au passage de juteux revenus liés au transit sur son territoire …
Moscou n’est certes pas en reste dans cette partie d’échec planétaire, puisque la Russie et la Turquie ont également convenu jeudi de « mener des études et de lancer la construction d’une nouvelle branche du gazoduc Blue Stream pour pouvoir exporter des hydrocarbures vers des pays tiers via la Turquie« .
Selon les termes de l’annonce faite jeudi à Ankara par le premier ministre russe Vladimir Poutine, ce pipeline devrait permettre d’exporter des hydrocarbures vers Israël, le Liban, la Syrie et Chypre.
Selon l’ancien Président russe, la « Turquie devient ainsi un pays de transit très important pour cette région ». C’est peu de le dire …
Rappelons que le gazoduc Blue Stream transporte annuellement 16 milliards de m3 de gaz russe en Turquie par le fond de la mer Noire et complète le gazoduc reliant la Russie à la Turquie via l’Ukraine, la Moldavie, la Roumanie et la Bulgarie. Le projet Blue Stream-2 prévoit la pose d’un deuxième tuyau parallèle au pipeline Blue Stream, ainsi que la création d’une infrastructure gazière en Turquie et d’un gazoduc maritime reliant la Turquie à Israël.
Mais ce n’est pas tout ! Les deux pays ont par ailleurs signé un autre protocole d’accord prévoyant le lancement du projet d’oléoduc entre les ports turcs de Samsun, sur la mer Noire, et de Ceyhan, sur la Méditerranée. « Nous estimons que c’est un projet qu’il faut soutenir et sur lequel nous devons travailler ensemble », a déclaré à ce sujet M. Poutine au sujet du pipeline Samsun-Ceyhan.
Toutefois, si l’on en croit le journal russe Kommersant, cette signature pourrait être une concession faite par Moscou pour décrocher le soutien d’Ankara à South Stream.
Autre concession probable : le holding turc Aksa Energy a affiché sa ferme intention de fonder avec Gazprom une coentreprise de vente de gaz en Turquie, l’entreprise mixte en résultant, formée avec le russe Rosneft étant chargée de la construction des centrales thermiques en Turquie et dans d’autres pays.
Sources : AFP, Associated Press, Ria Novosti