Quelques centaines d’émouvants et tristes pantins ont passé la nuit seuls, accrochés un peu partout dans la nuit exceptionnellement glaciale de la bellissima città di Roma.
De jeunes mains inconnues, tremblantes de froid et de révolte, vous ont PENDU dans la nuit de dimanche à lundi, livré à votre triste sort de condamnés au surendettement, écrasés par la pierre de la cité éternelle. Figé les policiers, acquis leur complicité.
Tout un symbole lourd de sens dans la cité de l’apôtre batisseur, qui a fait haïr encore plus vos borreaux – spéculateurs ou banquiers – et a arraché larmes et sanglots étouffés au bon peuple de Rome, ému, concerné, engagé à vos côtés. En route pour l’aéroport – et pour Paris – votre humble serviteur a traversé la cité endormie et contemplé vos silhouettes frêles et graves dans la lueur de l’aube.
La ville qui avait battu tous les records lors des manifestations qui avaient précédé le conflit en Irak, est de tous les combats justes. La « pace romana » a gravé à jamais l’empreinte de sa philosophie dans la cité éternelle.
« Pace, pace, pace ! » (prononcer « patché en accentuant la première syllabe »), scandaient les foules, « pace, pace, pace », disaient les drapeaux multicolores à toutes les fenêtres, « pace, pace, pace » soufflait le vent déjà printannier chargé d’espoir vain. Et ils sont toujours là – ces drapeaux lambeaux pâlis par le soleil – tout comme cette guerre, horrible, sanglante et injuste. Rome veille, prie et n’abandonne pas.
La douceur de vivre, la dolce vita, le climat quasi nord-africain les prêtres en soutane attendris devant de jeunes enfants, des femmes sublimes et charmantes, des hommes séduisants et séducteurs, mais affectueux, des monuments à couper le souffle (une partie du patrimoine mondial se trouve à Rome) des « ciao bella, buongiorno tesoro » joyeux, le meilleur café du monde dans les troquets les plus amicaux et détendus qui soient, la nourriture préférée de la planète qui lui réserve la première place (hormis les restaurants asiatiques, mais les 1,3 milliards de chinois faussent les statistiques) et bien tout ça, ça se paie et cher.
Les prix ont explosé et on n’hésite pas à placer Rome en deuxième position dans le classement immobilier des villes les plus prix chères d’Europe. Après Londres, mais qui gagne autant que les golden boys de l’opulente City ? Certainement pas les raffinés et sereins romains. Ils ont mieux à faire, et ils sont viscéralement attachés à leur vie de famille. Alors qu’elle avait injustement été oubliée dans le graphique qui recensait les tristes records mondiaux, comme me l’a fait remarquer un lecteur, l’Italie a de gros soucis.
Sa croissance économique est en berne, les analystes parlent de chiffres négatifs (et certains n’hésitent pas à situer la croissance italienne entre -1,5 et -1,7% pour 2006 et évoquer le spectre d’un scénario argentin), sa compétitivité est en baisse, ses exportations sont concurrencées par le Chili (vin) ou l’huile d’olive (le Maghreb, l’Espgne).
Son immobilier a explosé lui aussi, et les Italiens sont choqués par le lot d’augmentations que leur a apporté l’Euro. « Ce qui valait mille lires coûte 1 Euro aujourd’hui » (c’est-à-dire le double, 1000 lires correspondant à 50 centimes). Et si l’augmentation des prix du m² peut-être difficilement expliquée en France par l’arrivée de l’Euro, en Italie la monnaie unique a changé la donne dans tous les domaines, et grevé le budget des Italiens.
Les prix du m² atteignent les sommets européens à proximité des monuments : 25.000 du m² à côté de la Trinité des Monts, du Colisée et 10 à 15.000 à côté de la Piazza Navona ou de la Piazza Farnese ! Et ils partent dans l’heure, on sélectionne le veinard riche dans une liste d’attente. Les quartiers populaires de la périphérie avaient atteint 3.000 Euros au début de 2005. Mais un quartier moyen était déjà dans la fourchette stratosphérique des 5-6.000 Euros dès 2003.
Et même s’il y un an, les loyers ont amorcé leur descente, et que le prix du m² ne semble plus s’envoler, la baisse se fait attendre et les Romains désespèrent. Des échos de ventes à 2,400 Euros le m² se multiplient, certes, dans la populaire Boccea ou la très populaire Tiburtina, mais les taux d’endettement sont « usuriers », meurtriers.
C’est eux qui nous pendent la corde au cou, celle la même sur laquelle se balançant nos effigies – pantins. O inoffensives victimes, ombres expressives de ceux qui – invisibles – ne parviennent pas faire entendre leur revendication légitime : « un toit à un prix humain, en corrélation avec un salaire italien, stop au coûts/prêts inhumains ».
Les poupées de chiffon qui disent NON !, ont été pendues aux lampadaires, ponts et immeubles « di Roma », à l’initiative « del Mutuo Sociale« , « …afin d’attirer l’attention sur l’augmentation des loyers et du coût des emprunts immobiliers en Italie. Les pantins « représentent une multitude d’Italiens qui ne peuvent plus supporter les loyers et prêts bancaires usuriers, qui sont de véritables sentences de mort« . Sur les pantins étaient épinglées des pancartes disant « Je louais une maison » ou « J’ai demandé un prêt immobilier ».
A quand une action similaire en France et ailleurs ?
article du 17 janvier 2006
HS