Autre pays qui voit sa manne pétrolière – et au delà, son économie toute entière – basculer à cause de la chute du prix de baril : le Yemen.
La banque centrale du pays a ainsi annoncé samedi que les revenus pétroliers du pays avaient chuté de près d’un milliard de dollars en 2014. Au delà de la chute des prix du pétrole, la baisse des capacités de production du Yémen a également pesé. Les actes de sabotage contre des oléoducs reliant les champs pétrolifères de la région de Maarib à la zone côtière d’Hodeida,ont également grandement affaibli le pays.
Selon la banque centrale, les revenus pétroliers se sont chiffrés à 1,673 milliard de dollars en 2014, contre 2,662 mds USD en 2013, soit une chute de 37% en valeur glissante annuelle.
Certes, les attaques contre les oléoducs et les gazoducs sont fréquentes dans le pays, alors que la population est fortement armée. Ces opérations sont souvent menées par des tribus souhaitant faire pression sur le gouvernement. Selon des chiffres officiels du gouvernement du Yémen, entre mars 2011 et mars 2013, ces attaques ont coûté quelque 4,75 mds USD.
La chute du prix du pétrole est d’autant plus importante pour ce petit producteur de pétrole que 90% de ses recettes en devises étrangères sont constituées par ses exportations de gaz et de pétrole. Une situation d’autant plus préoccupante que les crises politiques et l’insécurité n’arrangent rien à l’affaire.
Samedi, le président démissionnaire Abd Rabbo Mansour Hadi a fui la capitale yéménite, où il était assigné à résidence par la milice chiite au pouvoir à Sanaa, plongeant le pays dans une nouvelle crise. Appuyé par les Occidentaux et l’ONU, M. Hadi a – selon son conseiller – trouvé refuge à Aden, dans le sud du pays, après que des membres de sa garde eurent réussi à l’exfiltrer de sa maison. Son conseiller a par ailleurs indiqué que M. Hadi allait appeler le Parlement à se réunir à Aden – ville qui échappe comme la plupart des régions du Sud au contrôle des miliciens – qu’il « restait le président légitime et avait démissionné sous la pression des Houthis ».
– Le Yemen : une position stratégique sur la route des tankers pétroliers
Il n’en demeure pas moins que le Yemen détient une position géographique on ne peut plus stratégique pour le transit du pétrole du Moyen-Orient, situation qui pourrait inciter quelques grandes puissances – tant russes que américaines – à affaiblir le pays d’une manière ou d’une autre pour justifier une arrivée en force … et contrôler une des routes maritimes majeures pour el commerce de l’or noir.
Le site de Bab el-Mandeb, le détroit séparant Djibouti et le Yémen, et au delà la péninsule arabique et l’Afrique et qui relie la mer Rouge au golfe d’Aden, est l’un de ceux que le gouvernement US considère comme les sept goulets d’étranglement stratégiques sur les voies mondiales d’acheminement de l’or noir.
L’US Government Energy Information Agency déclare ainsi que » la fermeture de Bab el-Mandeb empêcherait les pétroliers venant du Golfe Persique d’atteindre le Canal de Suez et le complexe du pipeline de Sumed, les forçant à contourner la pointe sud de l’Afrique. Le détroit de Bab el-Mandeb est un goulet d’étranglement entre la Corne de l’Afrique et le Moyen-Orient et un lien stratégique entre la Mer Méditerranée et l’Océan Indien. »
Toute raison invoquée par les Etats-Unis ou l’OTAN pour militariser les eaux autour de Bab el-Mandeb offrirait à Washington une avancée de taille dans sa soif de contrôle des routes de transit de l’or noir. Mieux encore, une occupation militaire – que pourraient justifier à sa manière des des aléas sécuritaires – permettrait aux Etats-Unis de maitriser le flux pétrolier à destination de la Chine, de l’Union Européenne ou de tout autre région ou pays s’opposant à sa politique. Un contrôle militaire US pourrait également décourager l’Arabie saoudite de de réaliser des transactions pétrolières avec la Chine ou d’autres pays souhaitant s’affranchir du dollar. Une telle suprématie américaine offrirait également à Washington la possibilité de menacer le principal lien vital de la Chine pour satisfaire ses besoins énergétiques.
– Le Yemen doté de gisements pétroliers inexploités mais prometteurs
A noter également que le Yémen est réputé détenir quelques-uns des plus grands gisements pétroliers inexploités. Les majors pétrolières internationales considèrent ainsi que les bassins de Masila et de Shabwa au Yémen contiennent des » découvertes de classe mondiale. »
Le groupe énergétique française Total et plusieurs compagnies pétrolières internationales sont engagées dans le développement de la production pétrolière dans le pays.
Certains experts estiment que le Yémen contient » assez de pétrole inexploité pour combler la demande pétrolière du monde entier pendant les cinquante prochaines années. »
– Le Yemen, désormais exportateur de GNL
Rappelons également que depuis début novembre 2009, le Yemen est devenu un exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL ou LNG) grâce à la mise en oeuvre de nouvelles installations dans le Golfe d’Aden. A cette date, le président yéménite Ali Abdallah Saleh avait donné le coup d’envoi symbolique des premières exportations de GNL …
Le projet de Balhaf, dans le Golfe d’Aden, d’un montant de 4,5 milliards de dollars, représente un investissement majeur pour le Yémen.
Notons également que le gaz yéménite présente bien des avantages en matière de qualité et de localisation géographique par rapport à ses principaux concurrents de la région (Qatar et Iran notamment, situés dans le Golfe persique) ….
A terme, la production devrait atteindre jusqu’à 6,7 millions de tonnes par an. Le GNL devrait être exporté en Corée du sud mais également en Europe et en Amérique du Nord. Le projet devrait générer sur 25 ans entre 30 et 40 milliards de dollars de revenus pour le Trésor du Yémen. A terme, les exportations de GNL du pays équivaudront à 180.000 barils de pétrole par jour. De quoi inquiéter d’éventuels concurrents …
A noter également : durant les années nécessaires à la mise en oeuvre du projet, aucune attaque significative n’a été dirigée contre les installations ou le personnel. Une « bonne » chose alors que les prises d’otages sont fréquentes dans cette partie du pays.
Précisons en effet que la majorité des 19 millions de Yéménites sont de confession sunnite , tandis que les autres appartiennent à la branche Zaydi de l’islam chiite. Le conflit dans la province de Saada entre rebelles et forces gouvernementales soutenues par les Etats-Unis se poursuit de manière intermittente depuis 2004.
Mais le monde est parfois petit …
– Quand le groupe énergétique OMV était attaqué au Yémen
Rappelons en effet qu’en octobre 2010, le directeur français du groupe énergétique autrichien OMV au Yémen avait été tué par balle par un soldat dans l’enceinte du siège de la compagnie près de Sanaa.
Dans les jours qui ont suivi l’attentat, le tribunal des affaires terroristes de Sanaa avait accusé l’assassin présumé du Français – Hicham Assem – d’être lié à l’imam américano-yéménite Aulaqi, mis en cause pour la première fois par la justice yéménite. Comparaissant devant le tribunal, Hicham Assem a nié toutes les charges pesant contre lui et affirmé avoir été torturé. Aulaqi – jugé par contumace – a été accusé quant à lui « d’incitation à l’assassinat d’Occidentaux et de membres des services de sécurité ».
Les deux hommes sont en outre accusés de « constitution d’une bande armée avec un but criminel et une incitation à prendre pour cible les étrangers et les forces de sécurité, pour le compte d’Al-Qaïda ».
Précisons que le groupe énergétique autrichien est actif au Yémen depuis qu’il a pris le contrôle de Preussag Energie GmbH en 2003. Il dispose de licences pour trois sites de production et d’exploration à Chabwah, dans le sud-est du Yémen. 6.500 barils de pétrole y sont extraits quotidiennement.
Le 25 juillet 2010, un champ pétrolier d’OMV avait été la cible d’une attaque dans la province de Chabwah dans le sud-est du Yémen. Un commando armé avait ouvert le feu avec des fusils mitrailleurs et des roquettes. Deux de ses membres du commando ainsi que six militaires en poste près du champ pétrolier avaient été tués.
Mais le « choix » de la société OMV pour mener ces attaques pourrait ne pas être tout à fait fortuit … Rappelons à toutes fins utiles, qu’en décembre 2009, le premier groupe gazier et pétrolier d’Europe centrale, et la Bourse de Vienne ont créé une « Bourse du gaz ».
Son ambition ? Devenir numéro un en Europe continentale …. en partenariat avec le géant gazier russe Gazprom. Comment ? via la plate-forme de Baumgarten qui permet – notamment – d’assurer la livraison du gaz russe à l’Europe occidentale, disposant ainsi d’une position stratégique au coeur de l’Europe centrale.
La nouvelle entité, qui s’appuie sur la plate-forme de distribution Central European Gas Hub (CEGH) opérée par OMV à Baumgarten, a commencé fin 2009 à proposer des contrats spots. L’objectif à terme est de faire du CEGH « la première place d’Europe continentale pour le commerce du gaz », avait alors précisé OMV.
Parallèlement, OMV s’associait à Gazprom pour développer cette plate-forme de distribution en Autriche, l’une des trois plus importantes d’Europe continentale. Mais le nerf de la guerre est bien là : la plate-forme de Baumgarten doit se trouver sur le parcours des projets du gazoduc russe South Stream et européen Nabucco.
Elisabeth Studer – 21 février 2015 – www.leblogfinance.com
A lire également :
. Le cours du pétrole chute de près de 3 dollars … à qui profite le crime ?
Bonjour, mettez vous a jour. Le terminal de LNG de Balhaf a demarre en 2008.
Depuis, il y a eu beaucoup de sabotages du pipeline amenat le gaz (qui doit y etre liquefie). De plus, le site peut temoigner d’au moins 2 attaques de roquettes (n’ayant eu aucune consequences materielles ou humaines).
Le GNL ne devrait pas etre exporte en Coree, aux Etats-Unis et en Europe, il l’est!! En effet le site fonctionne a raison de reception d’un LNG tanker tous les 3 jours (en moyenne).
Cet article manque donc cruellement de sources fiables et recentes….
tout est dans l’interprétation du temps du verbe
devrait ne veut pas dire n’est pas actuellement !
Déjà, avant la seconde guerre mondiale, les géologues de l’Irak Petroleum Company arpentaient le désert, mais ce n’est qu’à partir de 1986 que des compagnies étrangères sont venues investir, portant la production de brut à plus de 400 000 barils par jour vingt ans plus tard et rapportant au gouvernement 70 % de ses recettes budgétaires, si l’on excepte, bien sûr, les subsides royaux accordés au gré de leurs intérêts politiques et religieux par les monarchies voisines du Golfe. Le principal bailleur, l’Arabie saoudite, n’oublie pas que son turbulent voisin contrôle le détroit de Bab El-Mandeb qui relie l’océan Indien à la Méditerranée via la mer Rouge et le canal de Suez. Français, Américains, Norvégiens, Autrichiens, Canadiens exploitent dans des conditions difficiles des gisements qui vieillissent et dont la production baisse depuis 2005.
UN PROJET AMBITIEUX
D’où l’ambition de lancer l’exploitation des gisements méridionaux de gaz naturel liquéfié (GNL) de la région de Mareb, où aurait résidé la reine de Saba citée dans la Bible comme dans le Coran. Malgré ce prestigieux patronage, le projet monté en 1993 échoue faute de trouver à qui vendre le gaz. Le groupe français Total reprend l’idée et signe le 29 août 2005 un accord avec le gouvernement de la République du Yémen pour ce qui sera le plus important investissement jamais réalisé dans le pays. Le tour de table qu’il monte l’associe à l’américain Hunt, à deux entreprises sud-coréennes et à deux entités yéménites dont la sécurité sociale locale1. Total est leader, avec près de 40 % du capital de Yemen LNG, et l’opérateur industriel de l’ensemble. Un gazoduc de 320 kilomètres est construit, une usine de liquéfaction géante édifiée sur la côte à Balhaf, un port mis en place et quatre méthaniers commandés aux chantiers navals coréens et indonésiens.
Le 9 novembre 2009, avec un retard d’un an sur le planning et un milliard de dollars de dépenses supplémentaires (4,5 milliards de dollars au total), la première cargaison de GNL quitte Balhaf. Les acheteurs du GNL yéménite sont au nombre de trois : deux sociétés françaises, Suez LNG Trading et Total Gas and Power, plus le coréen Kogas qui se partagent 6,5 millions de tonnes par an de gaz liquéfié. Les deux premiers figurent parmi les plus grands commerçants de GNL de la planète. Ils le revendent à leurs nombreux clients, le dernier étant le principal importateur de GNL de la Corée du Sud qui a besoin de gaz pour alimenter ses centrales électriques. Ils sont liés depuis 2005 à Yemen LNG par un contrat qui porte sur vingt ans, durée de vie escomptée du gisement de gaz naturel de Mareb. Le prix serait, selon la partie yéménite, de 3 dollars par million de British thermal unit (BTU), l’unité de volume en usage dans l’industrie gazière.
DES ACCORDS À PRÉSENT CONTESTÉS
Dans une déclaration au Yemen Post remontant à décembre 2013, le ministre adjoint de l’énergie, Chaouki Al-Mekhlafi a souligné que « les accords signés par le régime précédent privent le Yémen d’une partie des recettes auxquelles il pourrait prétendre au titre de ses ventes de GNL en le cédant à 9 dollars de moins que les prix du marché ». Sanaa soutient ainsi avoir perdu jusqu’à 700 millions de dollars par an. Le 16 janvier 2014, le premier ministre yéménite Mohammed Salem Basindawa a reçu le patron du groupe Total Christophe de Margerie et lui a proposé un relèvement substantiel du prix pour le porter à 12,60 dollars le million de BTU, prix que Kogas aurait accepté de payer à compter du 1er janvier 2014. Fin janvier, les Yéménites disent n’avoir reçu aucune réponse des Français et menacent de les aligner d’office sur le nouveau prix. Ève Gautier, directrice de la communication de Total Moyen-Orient, reconnaît que des négociations sont en cours mais se refuse à tout commentaire avant leur conclusion.
De fait, le GNL ne rapporte pas grand chose au gouvernement yéménite. Selon les estimations du Fonds monétaire international, en 2012, l’impôt sur le GNL rapportait vingt-deux fois moins que celui sur le pétrole brut, soit une trentaine de millions de dollars. La situation se serait un peu améliorée en 2013. Pour l’instant, les recettes servent d’abord à rembourser la dette contractée pour financer l’investissement. Il est à priori difficile pour Total de s’aligner sur les prix acceptés par son partenaire coréen. Si les prix du GNL sont élevés en Asie, ils le sont beaucoup moins dans d’autres régions du monde où le groupe a des clients importants. Mais la perspective d’une épreuve de force aux conséquences imprévisibles avec l’un des pays les plus pauvres et les plus instables du Proche-Orient2 n’est guère plus attrayante que celle de perdre de l’argent ou des marchés
Yemen LNG exporte depuis novembre 2009 du gaz naturel liquéfié (GNL) à partir de son site de
Balhaf et ce projet (voir encadré) est souvent considéré comme une très grande réussite technique et
commerciale ainsi que comme un bon exemple d’insertion réussie d’un grand projet industriel dans son
environnement local et national. Ces appréciations demeurent largement partagées au sein de l’industrie
mais la société, dont le principal actionnaire est Total (39,62%), fait face depuis peu à de sérieuses
difficultés.
Travailler au Yémen n’a jamais été facile, notamment du fait de problèmes de sécurité. Les
compagnies pétrolières qui connaissent bien ce pays étaient habituées à gérer un certain nombre de
risques mais la situation s’est significativement aggravée dans les dernières années avec la montée en
puissance d’Al Qaïda dans la péninsule arabique (AQAP), les printemps arabes et la chute du régime de
l’ancien président Ali Abdullah Saleh, qui avait dirigé le pays d’une main plus que ferme entre 1978 et
février 2012 [M. Saleh a présidé la République arabe du Yémen (Yémen du Nord) entre 1978 et 1990 et la
République du Yémen (après la réunification entre le Nord et le Sud) entre 1990 et février 2012. Il a
quitté le pouvoir en février 2012 face aux nombreuses protestations contre son régime].
Les lecteurs de Pétrole et Gaz Arabes (PGA) n’ignorent évidemment pas que les installations de
Yemen LNG, notamment le gazoduc reliant la zone de Marib – dans laquelle se trouve le bloc 18 qui
produit le gaz d’alimentation pour la production du GNL – à l’usine de liquéfaction de Balhaf, ont subi
plusieurs sabotages dans les dernières années. Ce qui est plus inquiétant sans doute, c’est que cette
usine a fait l’objet par deux fois, au début décembre 2013 (PGA du 1.1.2014, p. 29) et le 31 janvier 2014,
d’attaques par des engins explosifs lancés par des roquettes. Dans les deux cas, la production et les
exportations de GNL n’ont pas été interrompues mais ces incidents sont préoccupants.