En attendant l’ETF, l’argent tutoie les 11 dollars

C’était il y a moins d’un mois : le 3 mars dernier, nous titrions sur le record atteint par les prix de l’argent, qui venait alors de dépasser les 10 dollars l’once ‘troy’. Aujourd’hui, les 11 dollars sont à portée de main, grâce à l’ETF (Exchange Traded Fund) sur l’argent que veut lancer Barclays Global Investors sur le marché américain.

Un industriel de l’argent, le mexicain Penoles, vient d’ailleurs de réviser en hausse ses prévisions de prix pour 2006. Mais la Société Générale doute, quant à elle, que l’arrivée de l’ETF de Barclays soit si positive que cela pour l’argent. Tentons donc d’y voir plus clair.

Photo : une raffinerie du groupe mexicain Penoles Industrias en pleine action. Source : Penoles, mineur & raffineur de premier rang d’argent, de plomb et de zinc. C’est Penoles qui exploite la mine géante de La Fresnillo, la plus grande réserve d’argent connue à ce jour sur la planète, que nous avons déjà évoqué dans ces colonnes.

Le raffineur Penoles relève ses prévisions de prix 2006

Dans sa note datée d’hier, lundi 28 mars, John Reade, le spécialiste des métaux précieux d’UBS Investment Banking, qui deviendrait presque locataire de ces colonnes, écrivait que selon Reuters, « la société mexicaine Penoles, le premier producteur mondial d’argent raffiné de qualité, a relevé ses prévisions 2006 du prix moyen de l’argent à environ 10 dollars l’once, grâce au soutien d’un nouveau support d’investissement américain [c’est à l’ETF sur argent de Barclays qu’il est fait référence ici, NDLR]« .

Toujours selon UBS, ce dirigeant de Penoles, Jaime Lomelin, « a aussi déclaré que la raffinerie géante Met-mex augmentera sa production de 9,5% à 100 millions d’onces d’argent cette année, en achetant plus de concentrés au Mexique et à l’étranger ». 100 millions d’onces, c’est beaucoup pour une seule entreprise : en 2004, selon le Silver Institute, l’offre mondiale d’argent fut de 879 millions d’onces.

Penoles, qui est aussi mineur, estime que ses propres mines extrairont de quoi fondre 50 millions d’onces d’argent en 2006, ce qui représente la moitié de la production mexicaine de 2004. Restera donc à en acheter autant à d’autres sociétés, locales ou étrangères, pour atteindre l’objectif de production..

Dans une interview accordée à Reuters en marge d’un sommet sur l’investissement en Amérique latine, James Lomelin déclare que « les prix de l’année en cours se situeront autour de 10 dollars. (…) J’estime que nous sommes sûrs de connaître deux ans de bons prix comme ceux que nous enregistrons actuellement ».

Selon Reade, d’UBS, « il y a deux mois, la prévision de Penoles pour l’année en cours était encore de 9 dollars l’once, mais les prix ont grimpé depuis lors ». En bonne partie grâce à cette histoire d’ETF sur l’argent organisé aux Etats-Unis par Barclays, et l’industriel du secteur qu’est Penoles l’a donc pris en compte.

Lomelin estime que les cours de l’argent sont soutenus par les besoins des économies émergentes comme l’Inde et la Chine. « Notre sentiment est qu’il n’y a pas assez de métaux pour faire face à une telle croissance », ajoute-t-il. « Il existe un développement explosif en Chine et une très forte croissance en Inde. Combien de kilos de cuivre dans une voiture ? Combien de kilos de zinc ? », lance-t-il. Selon lui, seul un ralentissement des pays industrialisés comme les Etats-Unis pourrait inverser la tendance.

Dans un style divinatoire, Lomelin, pourtant diplômé de l’université de Stanford, indique que « nous n’avons que très rarement constaté un tel alignement des étoiles » du notre secteur d’activité. Tant que ces étoiles ne sont pas des Silver Stars…

Rappelons que plus du tiers des 900 millions d’onces d’argent produites en 2004 étaient destinées à l’industrie, qui utilise l’argent dans notamment dans l’électronique en tant que substitut au plomb pour les soudures. Deuxième destination, la bijouterie et ses dérivés. Enfin, bien que mis à mal par l’arrivée des appareils numériques, l’usage photographique est toujours le troisième facteur utilisant l’argent. A noter que sur le graphique ci-contre extrait du site Internet du Silver Institute, la demande d’argent à des fins d’investissement a brusquement augmenté en 2004 (voir le cercle rouge apposé par nous).

L’action Penoles, qui cote sur la Bourse de Mexico en dollars américains, s’est rapprochée plus que jamais des 80 dollars hier soir. Pour mémoire, au cours de l’année 2001, le titre Penoles peinait à dépasser les 10 dollars.

Pour alimenter notre chronique « investissement touristique », voici à gauche de ce paragraphe l’avers d’une pièce de 5 onces d’argent pur (155,5 grammes) frappée par la Monnaie du Mexique, le plus ancien atelier monétaire de tout le continent américain puisqu’il remonte à 1535. Cette pièce, qui appartient à la série des ‘Libertad’, est ainsi frappée depuis 2002. Au poids du métal qu’elle contient, et suivant le cours de l’argent de Londres, cette pièce vaut aujourd’hui 45 euros.

Selon le descriptif, la pièce représente l’ange de la Liberté devant deux volcans, « les pics des amants ». Pour la petite histoire, ces volcans symbolisent l’amour que se portèrent un prince et une princesse de deux tribus indiennes différentes.

La légende veut qu’ils se marièrent sans l’assentiment de leurs familles, avant de s’exiler. Au revers, les armes nationales du Mexique et de ses Etats fédérés sont frappées, suivant des configurations variables. Voir à droite l’exemple que nous vous proposons (cliquez sur les images pour les agrandir dans de nouvelles fenêtres).

La Société Générale doute des conséquences de l’ETF sur le cours de l’argent

SG CIB, la Banque de financement et d’investissement de la Société Générale, est revenue hier sur les conséquences de la dernière décision de la SEC le fameux ETF sur argent de Barclays, ce dont nous avons rendu compte dans notre article du 23 mars.

Rappel de l’épisode précédent : certes, la date de mise sur le marché de l’ETF sur argent de Barclays, l’iShare Silver Trust, n’est toujours pas disponible. Mais la SEC a déjà validé le principe d’un enregistrement de l’ETF sur le marché Amex, rejetant au passage les critiques selon lesquelles ce produit d’investissement sans équivalent pour l’heure aurait risqué de porter atteinte à la liquidité du marché de l’argent.

Les investisseurs ont estimé que cette décision ‘intermédiaire’ de la SEC était l’une des dernières étapes avant le lancement du produit. Barclays doit accumuler plus de 130 millions d’onces d’argent dans des coffres avant les parts de l’ETF qui seront gagées dessus. En tout, cela représente neuf semaines de demande industrielle.

Le marché de l’argent reste étroit et peu profond. Les stocks physiques dont difficiles à comptabiliser. Nombre d’investisseurs estiment, à l’inverse de la position exprimée par la SEC, que l’achat d’argent auquel devra se livrer Barclays va assécher le marché pendant quelques temps, et donc faire monter les cours.

SG CIB fait partie des 9 membres teneurs de marché (‘market makers’) du marché international de l’or et de l’argent de Londres, le London Bullion Market Association (LBMA). Il ne s’agit donc pas de n’importe quelle banque dans le métier. Et il se trouve qu’elle semble d’accord avec la SEC, et non avec le sentiment général du marché qui reste haussier.

Selon Dow Jones, qui rapporte des propos tenus par Stephen Briggs, spécialiste des métaux chez SGCIB, les parts de l’ETF sur argent risquent de ne pas toutes trouver preneur lorsqu’elles seront proposées sur le marché. « Par comparaison, les cinq ETF sur or qui existent actuellement rassemblent de l’ordre de 500 tonnes de métal jaune, soit sept semaines de production aurifère et de fabrication de lingots, a déclaré Briggs », selon DJ.

Dow Jones rappelle aussi que l’un de ces ETF sur or (voir cet article pour plus de détails sur ces ETF), streetTRACKS Gold Shares (mnémonique, NY : GLD), qui est le plus important des cinq, n’a pas de nombre de parts déterminé. « Quand le marché viendra à réaliser que les nouveaux produits sur l’argent n’absorberont pas immédiatement quelque chose comme neuf semaines de demande, il se produira peut-être une réaction qui ramènera plus bas le prix de l’once de métal blanc », indique Briggs.

Pas assez d’argent pour acheter… de l’argent ?

Nous avons calculé que 500 tonnes d’or valent, au cours du jour du marché de Londres, un peu plus de 9 milliards de dollars. Et que les ETF sur or n’existent effectivement que depuis début 2004. Alors que 130 millions d’onces d’argent, ou 4.043 tonnes, vaudraient 1,4 milliard de dollars. A quantité égale, et aux cours du jour, l’or vaut donc 52 fois plus cher que l’argent.

Et nous évoquions hier l’appétit des fonds de pension pour les placements en matières premières, nombre d’entre eux souhaitant aller jusqu’à 3-5% de leurs encours, ce qui d’après les sources consultées implique de placer environ 1% des encours totaux en seuls métaux. 

Aujourd’hui, il n’existe pas de produit d’investissement permettant de se placer rapidement sur le marché de l’argent. L’ETF américain de Barclays serait le tout premier à porter sur l’argent. Un ETF anglais sur l’argent, qui ne serait pas basé sur de l’argent physique mais sur des dérivés, a été un temps évoqué. Mais on n’en a plus de nouvelles, alors que la demande des fonds d’investissement reste bien réelle.

Doit-on comprendre, de la part de Briggs, que la demande d’investissement en argent ne serait pas au rendez-vous ? Nous ne le croyons pas une seconde. Au contraire, nous nous demandons si la dernière citation  de Briggs ne viendrait pas confirmer l’information qui nous est parvenue et selon laquelle Barclays introduirait progressivement son ETF sur l’Amex américain. Par tranches, à mesure de la constitution de son stock d’argent. Photo : un lingotin de 5 onces d’argent frappé par la Banque centrale de Chine populaire, d’une valeur faciale de 50 yuans. Se jouant de la grippe avaire, il reprend le thème zodiacal du coq.

Si tel était le cas, le sentiment général du marché selon lequel Barclays va assécher le marché en achetant 130 millions d’onces en bloc serait pris à contre-pied. Rien n’empêche effectivement la banque d’affaires anglaise de s’y prendre par épisodes.

Un peu d’arithmétique : chaque part d’ETF représentera dix onces, soit un total d’environ 13 millions de parts. Selon des informations véhiculées par les agences de presse, il est fait état d’un premier ‘tour’ de 150.000 parts d’ETF.

Bref, l’histoire à épisodes de l’ETF de Barclays n’est pas encore terminée… Et les cours de l’argent n’ont pas fini de monter.