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  1. Les Etats-Unis proches de la récession ?, par Eric Le Boucher
    Dans le passé, aux Etats-Unis, huit crises immobilières sur dix ont débouché sur une récession, a calculé Ed Leamer, professeur de l’université de Los Angeles. Seules deux périodes y ont échappé, lors des guerres de Corée et du Vietnam. Les dépenses militaires avaient servi de moteur de substitution.
    Quand la courbe des ventes des logements s’est inversée il y a deux ans, que les stocks de maisons neuves ont commencé à s’accumuler, beaucoup ont cru que l’économie américaine allait plonger. Et puis rien de tel ne s’est passé. La résistance de la croissance (encore 2,9 % en 2006 et autant cette année) a contredit les méchantes prophéties. La consommation des ménages est restée très solide. L’Amérique semblait devenue un navire insubmersible, fort de sa high-tech, de ses gains de productivité, de son immigration.
    Cet été, le doute est fortement revenu. La crise financière va venir étrangler les crédits aux ménages ; elle vient ajouter ses effets à une crise immobilière qui s’aggrave elle-même de semaine en semaine. Cette fois, le compte paraît bon.
    Mais les économistes sont encore partagés. Au début de l’année, ils évaluaient en moyenne à moins de 20 % la probabilité d’une récession. Cet été, la probabilité est passée à 40 %. L’OCDE a donné la séquence : selon ses prévisions, la croissance américaine passera de 4 % au deuxième trimestre (rythme annuel) à 2 % au troisième et 1,5 % au quatrième. Il suffit simplement de prolonger la courbe pour basculer, n’est-ce pas ? D’ailleurs, les dernières statistiques s’imprègnent de rouge : en août, les créations nettes d’emplois n’ont été que de 4 000, alors que les analystes en attendaient 110 000. Cela signifie que les entreprises ont ressenti un coup de frein brutal de leur activité avant même que n’éclate la crise des « subprimes ».
    Quand on regarde le poids qu’a eu l’immobilier dans la croissance américaine depuis dix ans, on a du mal à comprendre comment elle peut encore tenir longtemps sans casse. Les chiffres évoqués cet été à Jackson Hall, lors de la réunion annuelle des grands manitous des banques centrales mondiales, sont impressionnants.
    Les ménages propriétaires ont vu leur bien croître en valeur de 9 % l’an depuis 2000. Comme 80 % des acquéreurs ont trouvé des taux faibles et des avantages fiscaux, le retour net sur investissement a été de 25 %. Beaucoup ont pu renégocier leurs emprunts en fonction de cette plus-value, et le gain pour l’ensemble des Américains a été de 9 000 milliards de dollars, un montant équivalant à 90 % de leur revenu de l’année 2006. Le couple hausse des prix et renégociation des prêts leur a fait gagner un an de salaire en plus ! Et c’est en puisant dans cette manne que les ménages enrichis ont pu continuer à consommer en vidant, de surcroît, leurs comptes d’épargne.
    Le hic, c’est qu’un marché immobilier se retourne. Les prix sont partis à la baisse au rythme désormais de 9 % l’an, ce qui paraît peu, mais c’est plus fort que lors de la crise de 1929. Les mises en chantier ont reculé de 20 %. Si les valeurs des logements reculent de 20 %, les économistes prévoient deux conséquences : beaucoup d’emprunteurs vont faire défaut, et nombre d’institutions prêteuses seront mises à mal ; la consommation globale des ménages pourrait se contracter de 200 milliards de dollars, soit 1,5 % du PIB, ramenant donc la croissance sous zéro.
    Récession inévitable ? Déclin américain (enfin) ? Non. Le  » consensus » des économistes table encore sur une expansion de 2,5 % en 2008. Morgan Stanley prévoit 2 %. Joseph Stiglitz, Prix Nobel, professeur à Columbia, volontiers Cassandre, parle lui-même de « ralentissement très fort, pas de récession ».
    L’Amérique a encore des forces cachées. « Il n’y a pas de sureffectifs dans les entreprises », note Jean-Philippe Cotis, économiste en chef de l’OCDE. Elles ne devraient pas mettre au chômage des travailleurs en masse. Eric Chaney, de Morgan Stanley, ajoute que la configuration est différente des récessions passées. Cette fois-ci, les entreprises sont très profitables, et elles devraient continuer à investir. La correction porte sur les ménages, qui doivent consommer moins pour regarnir leur épargne. Mais « autant l’ajustement des investissements est brutal, autant celui de la consommation ne peut l’être », les modes de vie ne peuvent changer qu’à la marge. En outre, poursuit Eric Chaney, le dollar faible va aider l’export, et l’Etat va laisser filer ses déficits pour servir d’amortisseur.
    Récession ou pas ? On imagine la difficulté pour Ben Bernanke, le patron de la Banque centrale, qui devra décider la semaine prochaine de la politique monétaire dans un contexte aussi lourdement chargé d’incertitudes. Si les crises immobilière et financière s’ajoutent et poussent vers la récession, c’est l’hypothèse facile : il lui faudra baisser les taux franchement et vite. Mais si la crise immobilière s’aggrave tandis que la crise financière se calme (scénario probable à l’heure qu’il est), alors c’est un dilemme : baisser les taux aidera certes les ménages endettés, mais c’est aussi faire un cadeau aux banquiers qui ont accordé des prêts trop risqués et ne méritent pas qu’on facilite leurs refinancements, au contraire. Ben Bernanke veut prendre ses distances avec le « laxisme » dont on accuse aujourd’hui son prestigieux prédécesseur Alan Greenspan. Mais si la morale le pousse à la rigueur, l’économie lui impose la souplesse. A sa place, vous, que feriez-vous ? Réponse mardi soir.
    http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-955641,0.html

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