A force de pression, Gazprom aura réussi à obtenir ce qu’il voulait : la compagnie pétrolière britannique BP a annoncé vendredi la vente de sa participation dans le champ gazier Kovykta en Sibérie au géant gazier russe et la création d’une entreprise commune.
La méthode employée ressemble à quelques motifs prêts à celle qui a prévalu lors des tractations concernant le gisement de Sakhaline.
L’objectif est bel et bien pour la Russie de Poutine et les groupes pétroliers russes de garder la main-mise sur les ressources en hydrocarbures du pays.
TNK-BP va ainsi vendre à Gazprom les 62,9% qu’il possède dans Rusia Petroleum, ainsi que ses 50% dans la société East Siberian Gas Company, chargé de construire le projet gazier régional. TNK-BP avait annoncé en décembre 2006 être en négociations avec Gazprom sur une entrée de ce dernier dans Kovykta. Mais le géant gazier russe avait semblé alors se faire prier, affirmant que les possibilités de commercialisation du gaz étaient limitées et que les risques étaient trop importants.
La licence pour le gisement de Kovykta, considéré comme l’un des plus prometteurs de Russie, était détenue jusqu’à présent par Rusia Petroleum, filiale de TNK-BP, elle-même détenue à hauteur de 50% par la major pétrolière britannique BP et à 50% par le consortium russe Alfa Group, composé des groupes Access Industries et Renova.
Le champ de Kovytka était depuis des mois au coeur d’un conflit entre ses opérateurs et les autorités russes, qui ont récemment suggéré qu’une entrée de Gazprom pourrait résoudre la question… Au moins, on a le mérite d’être direct au pays de Poutine …
Les autorités russes reprochaient à l’opérateur de Kovykta, Rusia Petroleum (détenu également à hauteur de 25,8% par le groupe russe Interros et 11,2% par l’administration de la province d’Irkoutsk), de ne pas produire autant de gaz qu’il s’était engagé à le faire au moment de l’octroi de la licence, soit 9 milliards de mètres cubes par an et menaçait de la lui retirer sans compensation.
Rusia Petroleum n’aurait en effet produit que 38,8 millions de mètres cubes, et plusieurs responsables russes, dont le président Vladimir Poutine, ont fait part de leur impatience face à cette situation.
TNK-BP avait d’ores et déjà expliqué par le passé que le marché de la région d’Irkoutsk (Sibérie orientale) ne pourrait absorber une telle production. Il ne peut non plus l’exporter vers la Chine ou la Corée du Sud en l’absence de gazoduc pour les desservir. Le groupe gazier public Gazprom, qui détient le monopole des exportations de gaz, se refuserait à en construire un. Les réserves du gisement de Kovykta, qui est considéré comme l’un des plus prometteurs de Russie notamment pour l’approvisionnement du marché asiatique, sont estimées à 1.900 milliards de m3 de gaz.
Mais si Gazprom s’est dit vendredi prêt à payer de 600 à 800 millions de dollars pour sa transaction avec la major britannique BP autour du champ gazier de Kovykta, BP avance pour sa part un prix de 700 à 900 millions de dollars. « Le chiffre doit encore être fixé, mais en tous cas, telle est la valeur des actifs », a déclaré le numéro deux de Gazprom, Alexandre Medvedev, cité par l’agence Interfax. « Il y aura encore des négociations, mais nous pensons que le chiffre sera de 600-800 millions de dollars », a-t-il dit. La transaction sera close d’ici 90 jours.
Même si le niveau maximum est retenu, il s’agit d’un prix « vraiment bas », estime Konstantin Batoutine, analyste de la banque Alfa à Moscou, qui juge toutefois que la transaction a permis à tout le monde de « sauver la face ». Andrew Neff, de Global Insight à Londres, est d’un autre avis quant à lui, jugeant que l’opération était « une bonne affaire » pour BP, estimant qu’ « au vu des circonstances de menace imminente de révocation de la licence de Kovykta, BP non seulement a obtenu un assez bon prix, mais a ouvert de nouvelles occasions de partenariat avec Gazprom en Russie ».
Pour les investisseurs étrangers, l’affaire de Kovykta ravive le souvenir de celle concernant le gisement pétrolier et gazier de Sakhaline 2 (Extrême-Orient russe), dont le concurrent britannique de BP, Royal Dutch Shell, a perdu le contrôle au profit de Gazprom en décembre, après avoir été menacé de perdre sa licence pour atteintes à l’environnement.
Même objectif, avec juste un nouvel argument à la clé pour faire céder les « intervenants » quelque peu récalcitrants. Les compagnies pétrolières sont prévenues : tout sera bon à évoquer côté russe pour garder ou regagner la main-mise sur les ressources pétrolières du pays.
Mais pour l’heure, les investisseurs étrangers ne paraissent pourtant pas particulièrement inquiets de la situation. Selon la Banque mondiale, ils ont investi un montant record au premier trimestre en Russie : 9,8 milliards de dollars (soit presque trois fois plus qu’au début 2006), dont plus des deux tiers dans l’industrie minière.
Pour Iaroslav Lissovolik, chef économiste de la banque Deutsche UFG à Moscou, une affaire comme Kovykta va probablement inciter les investisseurs étrangers « à la prudence », mais certainement pas les prendre par surprise, car « l’idée que le pétrole est un secteur stratégique est de mieux en mieux intégrée ».
Le gouvernement russe semble décidé à éclaircir sa position dans une loi actuellement en cours de préparation et qui pourrait être examinée prochainement par la Douma, la chambre basse du Parlement. Le texte limitera l’accès des investisseurs étrangers aux secteurs dits « stratégiques ». « C’est le plus important des éléments que nous attendons de la Russie : une délimitation claire entre ce qui est stratégique et ce qui ne l’est pas », souligne M. Lissovolok.
source : AFP
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Accord BP-Gazprom: satisfaction de la Commission européenne
BRUXELLES – La Commission européenne s’est félicitée de l’accord conclu vendredi par les géants britannique et russe de l’industrie pétro-gazière, BP et Gazprom, qu’elle juge « acceptable » et qui contribuera, espère-t-elle, à la sécurité d’approvisionnement énergétique de l’UE.
« La Commission est satisfaite de l’accord entre BP et Gazprom, qui apporte une solution mutuellement acceptable à la question des permis d’exploitation du site gazier de Kovytka », a déclaré dans un communiqué le commissaire européen à l’Energie, Andris Piebalgs.
La cession par le géant pétrolier britannique BP des droits qu’il possédait via le russo-britannique TNK-BP sur le champ gazier sibérien au numéro un russe Gazprom « devrait avoir un impact positif sur le climat des investissements en Russie puisque l’accord tient compte des investissements déjà réalisés par TNK-BP » dans le projet, a poursuivi M. Piebalgs.
La Commission « se félicite de l’intention de créer une alliance stratégique entre Gazprom et BP dans des projets d’investissement à long terme, qui contribueront ainsi à la sécurité d’approvisionnement de l’UE », a-t-il ajouté à propos du projet des deux firmes de créer une société commune.