Le gouvernement birman en exil appelle l’Union européenne au « gel ou l’abandon » de toute activité liée au gaz et au pétrole, selon une copie d’une lettre reçue dimanche par l’AFP.
Cet appel équivaut à demander le retrait du groupe pétrolier français Total, écrit la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) dans un communiqué adjoint à la lettre.
L’UE devrait donner lundi son feu vert à de nouvelles sanctions contre la Birmanie, et placer sous embargo ses exportations de bois, pierres précieuses et métaux. Ces sanctions épargneraient le secteur énergétique.
Dans une lettre adressée le 10 octobre au président français Nicolas Sarkozy et son ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, le Premier ministre birman en exil Sein Win assure n’avoir « pas eu le temps de soulever la question de Total Fina Elf » lors d’un entretien avec le chef de l’Etat le 26 septembre.
Sein Win appelle alors le gouvernement français à plaider pour « l’affermissement de la position commune de l’Union européenne par l’adoption de résolutions additionnelles telles que (…) le gel ou l’abandon de toutes les activités liées au gaz, pétrole et autres ressources énergétiques ». Pour sa part, la FIDH propose le « versement sur un compte séquestre des revenus d’exportation, en l’occurrence du gaz », qui seraient gérés par « les parties en conflit et la communauté internationale ».
Cette initiative permettra à la population birmane d’avoir « quelques retombées positives de l’exploitation de ces ressources », assure la FIDH. Le champ gazier de Yadana, dont le principal opérateur est Total, a rapporté à la junte birmane 350 millions d’euros en 2006, rappelle la FIDH.
Le groupe pétrolier français Total « ne se retirera pas » de Birmanie malgré l’écrasement d’un mouvement de protestation populaire par la junte birmane, a déclaré récemment son directeur général, Christophe de Margerie. « Investir dans ce pays aujourd’hui, ce serait une provocation » mais « Total ne se retirera pas », déclarait ainsi le patron du 4e groupe pétrolier mondial groupe dans un entretien au quotidien Le Monde publié vendredi 5octobre.
Evoquant l’appel du président Nicolas Sarkozy aux groupes français à geler leurs investissements dans ce pays, en réponse à la répression, M. de Margerie explique que les investissements de Total « remontent aux années 1990 » et qu’il « n’y en a pas de nouveaux ».
M. de Margerie a réaffirmé d’autre part que Total n’a pas recours au « travail forcé » sur ses installations.
Total exploite en Birmanie une partie du champ gazier de Yadana (sud), où il emploie 270 personnes et où il a produit en 2006 17,4 millions de mètres cube de gaz par jour. Selon M. de Margerie, « Yadana a rapporté 350 millions d’euros à l’Etat (birman) en 2006 » sous forme d’impôts, mais Total (qui en paye 30%) « ne peut demander au gouvernement ce qu’il fait de cet argent ».
M. de Margerie souligne avoir rencontré à deux reprises l’opposante Aung San Suu Kyi, en 2001 et en 2002. « Je peux vous assurer qu’Aung San Suu Kyi n’a pas non plus réclamé le départ de Total » de Birmanie, assure-t-il. « J’ai même envisagé d’aller la voir au moment de la crise, mais je dois éviter le spectaculaire », ajoute-t-il.
La commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale entendra mardi le directeur général de Total, Christophe de Margerie, « sur la stratégie de ce groupe en Birmanie et en Iran », a-t-on parallèlement appris vendredi de sources parlementaires. Jeudi, le président UMP de la commission des Affaires étrangères, Axel Poniatowski, avait annoncé qu’il était prêt à se rendre en Birmanie, avec « une délégation de parlementaires français », pour « témoigner de la situation sur place » dans ce pays.
Mais si des voix exigent que Total quitte la Birmanie pour réduire le financement de la junte au pouvoir, certains analystes estimenet toutefois qu’un retrait du pétrolier français n’aurait guère d’effet sur le régime, voire aggraverait la situation pour la population.
Des spécialistes affirment en effet que les généraux birmans, assis sur les dixièmes plus vastes réserves de gaz du monde, n’auraient alors qu’à les proposer à une autre société qui sauterait sur l’aubaine.
De là à ce que certains pays aient « intérêt » à faire perdurer le climat de violence en Birmanie, afin de rafler la mise … « Il serait facile de trouver en Asie des compagnies pouvant reprendre le rôle de Total« , a déclaré ainsi un responsable pétrolier. Yadana est un projet « qui n’a jamais rencontré de difficultés techniques particulières, et si un groupe pétrolier autre que Total devait un jour le reprendre, il n’aurait pas besoin d’afficher des compétences technologiques importantes », a expliqué ce responsable, sous le couvert de l’anonymat.
Pour Derek Tonkin, expert britannique de la Birmanie, le retrait de Total « accélérerait simplement la prédominance d’intérêts industriels asiatiques en Birmanie et rendrait les pays asiatiques encore moins enclins à des sanctions ».
Le montant de l’argent de Total empoché par la junte est sûrement très élevé: les ventes de gaz birman dépassent deux milliards de dollars par an, soit le tiers des revenus des exportations de biens et de services, selon M. Tonkin.
Le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner s’est de son côté montré réservé sur l’efficacité de sanctions occidentales pour amener la junte birmane à cesser de réprimer le mouvement de contestation. Il a toutefois indiqué que le groupe pétrolier Total ne serait pas « exonéré » en cas de nouvelles sanctions contre ce pays.
Le président français Nicolas Sarkozy a appelé au gel des investissements en Birmanie. Mais Total, qui revendique 270 employés sur place, a indiqué ne plus investir là-bas « depuis environ dix ans ». Selon un diplomate longtemps en poste en Asie du Sud-Est, « l’investissement (actuel de Total) se révèle faible et constitue probablement le financement d’opérations de maintenance en fin de contrat ». « Aussi, quelle que soit la décision prise par cette société, elle n’apparaît guère significative en termes d’impact réel sur l’économie birmane ».
Les généraux pourraient même paradoxalement s’enrichir davantage sans Total, en récupérant la part du budget que la firme a allouée, sous la pression occidentale, au bénéfice des populations locales.
Sources : AFP, Reuters
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Birmanie: la justice belge met fin aux poursuites contre Total
BRUXELLES, 5 mars 2008 (AFP)
La justice belge a mis fin mercredi aux poursuites intentées par des réfugiés birmans contre le géant pétrolier français Total, qu’ils accusaient de crimes contre l’humanité, a-t-on appris auprès de l’avocat des plaignants.
La chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, une juridiction d’instruction, a « déclaré l’action éteinte », a expliqué à l’AFP Me Xavier Deswaef.
Un ultime recours devant la cour de cassation, la plus haute juridiction belge, est « possible », a ajouté l’avocat.
Mais les plaignants, quatre Birmans –dont l’un a le statut de réfugié politique en Belgique– vont « y réfléchir à deux fois » avant de poursuivre cette bataille judiciaire entamée en 2002, a-t-il nuancé.
La chambre des mises en accusation a jugé que Total, son ancien patron Thierry Desmarest et l’ancien directeur des opérations du groupe en Birmanie, Hervé Madeo, poursuivis pour « complicité de crimes contre l’humanité », devaient bénéficier de « l’autorité de la chose jugée », a précisé Me Deswaef.
La plainte contre Total a connu au cours des six dernières années de nombreux rebondissements, la justice belge se déclarant tour à tour compétente ou incompétente en fonction des modifications apportées à la loi belge dite de « compétence universelle » sur laquelle s’appuyaient les plaignants.
Cette loi de 1999, unique au monde à l’époque, donnait aux tribunaux du royaume le droit de juger des auteurs présumés de crimes conte l’humanité quels que soient l’endroit où ils ont été commis ou la nationalité des victimes.
Mais le parlement belge, face à la multiplication des plaintes visant des dirigeants étrangers, dont le président américain George W. Bush, a restreint en 2003 son champ d’application en exigeant qu’au moins un des plaignants soit belge.
C’est en se fondant sur ce point que la cour de cassation avait décidé la fin des poursuites contre Total en juin 2005.
Depuis, d’autres décisions de justice ont redonné le droit aux réfugiés politiques de porter plainte, ce qui a permis en octobre 2007 la relance de l’affaire sur injonction du ministre de la Justice.
Mais la chambre des mises en accusations, suivant les arguments des avocats de Total, a estimé mercredi ces poursuites « irrecevables » en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme qui stipule que les personnes poursuivies doivent toujours bénéficier de la décision la plus favorable prise à leur égard, a souligné l’avocat des plaignants.
« On est amer de se dire que c’est l’impunité pour Total, pour des questions de procédure invoquant les Droits de l’homme, alors que sur le fond, un dossier comme celui-là serait bon pour les assises », a commenté Me Deswaef.
Les plaignants reprochaient à la compagnie pétrolière française et à ses dirigeants d’avoir apporté un soutien logistique et financier aux militaires de la junte birmane responsables, à leurs yeux, de travail forcé, de déportations, de meurtres, d’exécutions arbitraires et de tortures.
2008 AFP