La Russie blanche a des envies de métal jaune

Les médias occidentaux sont longuement revenus sur la réélection contestée, dimanche 19 mars, de celui que les Etats-Unis appellent « le dernier dictateur d’Europe » : Alexander Grigoryevich Lukashenko (photo), un ancien directeur de sovkhoze passé par les gardes frontières et l’Armée soviétique, qui dirige depuis 1994 l’Etat du Belarus (terme longtemps traduit en Anglais par « White Russia », soit « Russie blanche »), une ancienne république soviétique coincée entre la Russie et la Pologne.

Mais ce n’est pas là ce qui nous intéresse. Le 16 mars dernier, le président du Belarus a visité la banque centrale du pays et a confirmé l’augmentation rapide de ses stocks d’or. Le lendemain, un officiel de la banque a évoqué un projet de produit financier obligataire gagé sur l’or national du Belarus. Le Blog Finance a essayé d’en savoir un peu plus sur ce sujet délaissé par… ces mêmes médias occidentaux.

Lukashenko ancre le Belarus dans la sphère d’influence russe

Alexander Lukashenko n’a jamais caché qu’il se rangeait sous la bannière russe, de manière culturelle, économique et politique. Bref, qu’il fait du Belarus une sorte d’Etat quasi-fusionné avec la Russie.

Les différentes questions qu’il a posé à son peuple lors du referendum de 1995, ainsi que les résultats déclarés, ne laissent guère de doute à ce sujet. La toute première d’entre elles portait sur la langue du pays. Son intitulé était : « Etes-vous d’accord pour que la langue russe ait un statut égal à la langue belarusse ? ». Et la réponse fut, selon les chiffres officiels, « oui » à 83,3%.

Seconde question : « Soutenez-vous les actions du Président [Lukashenko dès cette époque, NDLR] visant à une intégration économique avec la Russie ? ». Et encore 83,3% de « oui ».

La troisième question portait sur les emblèmes nationaux et permis d’adopter, outre le drapeau, les actuelles armes de l’Etat du Belarus reproduites ci-contre à droite. Autant dire qu’elles sentent fortement l’inspiration soviétique, jusque dans le choix de l’étoile rouge qui surplombe l’ensemble. A titre de comparaison, voici, ci-dessous à gauche, les anciennes armes de la République socialiste soviétique du Belarus, du temps de l’URSS. 

Quatrième et dernière question, qui donne le ton quant à la répartition des pouvoirs dans le pays : « Etes-vous d’accord avec la nécessité d’introduire des changements dans l’actuelle Constitution de la République du Belarus, afin de permettre au Président de la République du Belarus de mettre fin de manière anticipée aux pouvoirs pléniers du Soviet Suprême [sic], dans le cas de violations systématiques ou graves de la Constitution ? » Un peu moins ardents, les électeurs belarusses n’ont répondu « oui » à cette question qu’à… 77,7%.

Nous vous rassurons : le Soviet suprême a depuis fait place à un parlement comprenant une chambre haute, le Conseil de la République, et une chambre basse, la Chambre des Représentants. En revanche, les services secrets du Belarus n’ont pas changé de nom : ils s’appellent toujours « KGB« , selon le célèbre et ancien acronyme soviétique de « Komitet Gosudarstvennoy Bezopasnosti » (‘Comité de la sécurité de l’Etat’).

Alexander Lukashenko dote le Belarus de réserves d’or monétaire

Venons-en au fait : le 16 mars dernier, le président du Belarus s’est rendu en visite dans les locaux de la banque centrale du pays, la Banque Nationale de la République du Belarus (photo de la banque centrale, à Minsk). Selon ses statuts approuvés par l’édit présidentiel n° 320 du 13 juin 2001, « la Banque nationale (…) doit être indépendante dans l’exercice de ses activités ». Mais la ligne suivante précise que « la Banque nationale est responsable devant le Président de la République du Belarus ». Le système politique du Belarus reste ultra-présidentiel, toute décision dépend in fine de Lukashenko.   

Selon le site officiel de Lukashenko, le déplacement présidentiel avait pour but de visiter la salle forte de la banque, là où l’on stocke traditionnellement métaux précieux et titres de propriété.

A cette occasion, le président Lukashenko a fait savoir, selon l’agence de presse officielle Belarusian Telegraph Agency, que les stocks d’or monétaire du pays devraient atteindre 32 tonnes en 2011, et que les réserves de changes, d’or et de pierres précieuses devraient être à cette date de 3 milliards de dollars.

Selon les mêmes sources, les réserves de changes (au sens large, cf. ci-dessus) du Belarus à la date du 16 mars 2006 étaient de 1,63 milliard de dollars, ce qui inclut 25 tonnes d’or. Une dépêche de l’agence Belarusian Telegraph indique d’ailleurs, à propos des réserves de changes : « C’est le résultat du travail résolu de la Banque nationale depuis 1998 et de l’accomplissement des missions déterminées par son président Piotr Prokopovich« . 

Les données compilées par le World Gold Council (WGC) confirment que le Belarus a procédé à des achats réguliers d’or ces dernières années. Pour mémoire, en 1998, le Belarus n’avait reporté aucune possession d’or. En 1999, il déclare 700 kilogrammes. Fin 2004, nous voilà à 14 tonnes, puis à 25,02 tonnes au premier janvier 2006. Et voilà que l’objectif 2011 est de 32 tonnes. Pour modeste que soit cette progression en termes absolus, en proportion, l’accroissement des réserves d’or du Belarus est des plus rapides.

Car il ne s’agit que d’un petit pays… étroitement lié à la Russie. C’est officiel : la Russie, qui déjà déclaré qu’elle souhaitait que ses réserves d’or atteignent à terme 10% du montant de ses réserves de changes, lesquelles ont dépassé les 200 milliards de dollars dernièrement, n’est donc pas la seule banque centrale à vouloir acheter de l’or. D’ailleurs le Kazhazkstan, autre pays satellite de la Russie, suit la même tendance : partie de rien en 1992 puis de 20 tonnes en 1993, la banque centrale kazakhe détient environ 57 tonnes d’or depuis 2000.

D’après les tableaux du WGC, la progression des réserves d’or du Belarus est la deuxième la plus rapide au monde… derrière celle de l’Argentine, dont les stocks d’or dont passés de 300 kilos en 2003 à plus de 55 tonnes en 2004.

Et l’intérêt des particuliers serait au rendez-vous, selon Minsk

D’après les officiels belarusses, les habitants du pays sont eux aussi attirés par les métaux précieux. Le président de la banque centrale Piotr Prokopovich, qui est également chargé de l’émission des monnaies et médailles et de la vente des gemmes, a profité de l’occasion le 16 mars dernier pour se vanter du fait que les habitants du pays « ont l’occasion d’acheter des produits de haute qualité comme des pièces faites de métaux précieux – or, argent, platine – tout autant que des médailles d’or et d’argent, et des pierres précieuses ».

Ci-dessus et ci-contre, reproduction des deux faces d’une pièce de 20 roubles contenant une once d’argent, aux armes du Belarus.

Frappée en 1997, elle  commémore « l’anniversaire de la communauté russe et belarusse », selon le site officiel faisant la promotion de ces pièces. D’ailleurs, l’une des faces a été conçue par un Belarusse, l’autre par un Russe. Et le tout a été frappé dans des ateliers situés à Moscou…

SCOOP : le Belarus pense à lancer des obligations gagées sur l’or en 2008 !

Car ce n’est pas tout ! Toujours selon l’agence de presse officielle belarusse, Piotr Prokopovich précisait, en parlant des ventes de métaux précieux et de gemmes par son établissement, que « de tels services, rendus par la Banque nationale, ont permis de liquider le marché souterrain des pierres précieuses ». Rien que ça… Selon le numéro deux de la banque centrale du Belarus, Vasiliy Matyushkevich, cité par une dépêche Belarusian Telegraph le 15 mars, la Banque nationale du Belarus est en train de créer un fonds national de pierres précieuses. « Au début de 2006, ce fonds se composait d’environ 53 milliers de carats de pierres précieuses dont le coût d’acquisition est de 24,3 millions d’euros ». Il semble que ce fonds contienne des actifs qui sont inclus dans les réserves de changes. Sachant qu’il faut compter 5 carats pour un gramme, 53.000 carats représentent 10,6 kilos de gemmes.

La réapparition des emprunts Giscard-or à Minsk ? Plus intrigante est l’information relayée par une dépêche de l’agence russe Interfax, en date du 17 mars. Elle cite les propos du président du Département des Métaux et pierres précieuses de la Banque du Belarus, Taras Nadolny. Selon ce dernier, la Banque nationale du Belarus envisage l’émission d’obligations gagées sur l’or (‘gold secured bonds’). « Il s’agira d’un titre qui sera garanti par de l’or stocké à la Banque nationale du Belarus et dans des banques commerciales », indique-t-il. « Ce sera probablement un titre en roubles qui aura en même temps une valeur en or, et dont le rendement augmentera suivant la hausse du cours de l’or ».

Ci-dessus : avers d’une pièce d’or de 5 roubles, frappée sous le tsar Nicolas II de Russie de 1897 à 1911. Plus bas, le revers.

A en croire ces propos, on en conclurait presque qu’après le lancement d’un premier ETF sur or à Londres et d’un second à Zurich, l’Europe serait sur le point de voir naître un troisième produit financier sur or. Mais cette fois-ci, à Minsk…

Contactée par Le Blog finance, la Banque nationale du Belarus a confirmé l’intégralité des propos cités d’officiels ici dans cet article. Dans un mail envoyé hier 29 mars, le responsable du site Internet de la Banque, K. Zhukov, apporte à nos questions les réponses de la Direction des opérations internationales de la banque centrale de Minsk.

Sur la question du curieux fonds en or évoqué ci-dessus, le mail de la Banque précise que « pour le moment, l’idée de lancer des titres sur or n’est en qu’à sa phase initiale. Maintenant, nous pouvons dire qu’il existera des valeurs gagées sur l’or des réserves de la Banque nationale du Belarus et qu’elles seront destinés aux investisseurs belarusses, ce qui comprend les banques, les investisseurs institutionnels et individuels. Le projet est prévu pour n’être pas lancé avant 2008″. On notera que le terme employé dans notre mail, « valeurs » (‘securities’), est plus large que celui d’obligations (‘bonds’) utilisé dans la dépêche d’Interfax.

Interrogé sur la provenance de ses métaux précieux, la Banque du Belarus nous indique que « l’or, au même titre que des métaux précieux (que nous incluons dans les réserves d’or) seront achetés sur les marchés domestique et international ».

Et pour finir, un peu d’humour slave

Le président du Belarus a terminé son discours à la banque centrale par ce que les agences de presse russe et belarusse présentent comme un trait d’humour. Ainsi Alexander Lukashenko a lancé à son banquier central Piotr Prokopovich : « Vous et moi resteront au pouvoir jusqu’à ce que nous ayons accumulé 100 tonnes de réserves d’or. Quand nous serons en état de disposer de réserves de changes et d’or de 10 milliards de dollars, en incluant 100 tonnes de métal jaune, alors nous pourrons tranquillement passer la main à d’autres ». « Je pense que les citoyens de ce pays nous soutiendrons dans cette tâche », a-t-il ajouté.

Certes, l’accumulation d’or par le Belarus est rapide. Mais selon nos calculs basés sur les prévisions officielles pour 2011, nous arrivons à la conclusion suivante : au rythme actuel, le Belarus disposera de 100 tonnes d’or en 2059. Lukashenko ne devrait pas trop se faire de souci pour sa retraite…