L’Iran, deuxième marché de l’or du Moyen Orient

DariusbowlGrâce à une information de première main, faisons aujourd’hui le point sur un pays qui tient souvent le premier rôle de l’actualité : l’Iran. Nous rapportons aujourd’hui les résultats d’une enquête de terrain menée durant 12 mois par les experts du cabinet australien Grendon International Research (GIR).

Des révélations sur l’industrie nucléaire iranienne ? Sur son arsenal de missiles tactiques ? Point du tout ! C’est toujours d’or dont nous parlerons aujourd’hui, précisément d’un marché de l’or aussi important que totalement négligé par les recueils statistiques officiels : celui de cette puissance régionale du Moyen Orient qui anciennement répondait au nom de « Perse ».

Photo : bol d’or cannelé datant de la dynastie achéménide (559-330 avant Jésus Christ) de l’Empire perse. Exposé au Metropolitan Museum de New York, il mesure 11,1 centimètres de haut. C’était l’époque de Cyrus II le Grand, de Cambyse, des Darius, des Xerxes et Artaxerxes. Le dernier souverain de cette dynastie, Darius III Coloman, sera vaincu par Alexandre le Grand à la bataille décisive d’Arbella, près de Mossoul. La légende veut qu’après le sac de Persepolis, Alexandre mobilisât 7.000 bêtes de sommes pour emporter 120.000 talents d’objets et de pièces d’or, soit l’équivalent de… 300 tonnes.

Quel est l’intérêt de cette étude ?

Pourquoi évoquer l’or dans un pays comme l’Iran ? Tout simplement car les fruits de cette enquête permettent d’avoir une idée plus juste du marché mondial de l’or, qui ne figure pas parmi les plus transparents. Surtout, bien sûr, quand la dimension politique s’en mêle : après que le Shah d’Iran,  mis en place par et pour les puissances occidentales, ait été renversé par l’imam Khomeiny en 1979, l’Iran s’est retrouvé au ban des nations – du moins en Occident. En conséquence, les données sur son économie sont rares et elles passent difficilement les frontières. Cela vaut aussi pour son marché de l’or.

WgcgoldconsumptionA titre illustratif, prenons les dernières statistiques du Conseil mondial de l’Or (World Gold Council, WGC), que nous avions cité en fin de cet article (A Dubai, le DGCX fait des pas de géants… en or comme en argent !, 5 avril 2006). Nous reproduisons le détail du tableau dans l’encart ci-contre (cliquez dessus pour l’agrandir dans une nouvelle fenêtre. Nota bene : il s’agit de la demande de joaillerie et d’investissement, hors demande industrielle).

Selon le WGC, en 2005, le Moyen Orient a consommé 393,5 tonnes d’or, les deux principaux pays étant l’Arabie saoudite (160 tonnes environ) et les Emirats Arabes Unis (EAU, 106 tonnes). Sauf que le Moyen Orient du WGC ne comprend… pas tous les pays de la région : outre les deux pré-cités, le WGC inclut dans son tableau les autres émirats du Golfe arabo-persique et l’Egypte. Mais pas l’Irak, ni bien sûr l’Iran.

Le tout en notant que la Turquie et ses 250 tonnes sont comptées à part.

Pourtant, il existe bel et bien un marché de l’or en Iran. La preuve, nous avions rapporté les tensions qui pénalisaient tout dernièrement les investisseurs iraniens : voir en fin d’article l’intertitre « Un dommage collatéral » inattendu : l’investisseur aurifère… iranien ! ».

Une étude approfondie qui fait autorité sur ce sujet déserté

Nigeldesebrock_1Nigel Desebrock (photo), le dirigeant du cabinet d’études australien GIR spécialisé dans les questions aurifères, rapporte les principaux résultats de son étude dans la dernière livraison de The Alchemist, le mensuel du marché de l’or et de l’argent de Londres. 

Qui a commandé cette étude ? C’est précisément le Conseil mondial de l’Or, sans doute soucieux d’améliorer la fiabilité de ses statistiques – et de mieux connaître un marché potentiel. Le WGC n’était pas seul : son initiative était soutenue localement par la banque centrale d’Iran, l’Organisation de promotion du commerce d’Iran (TPO) – il est fort à parier que sans ce soutien officiel, l’étude n’aurait pu aboutir. Sans oublier le service de promotion des exportations d’Australie, Austrade, l’Australie étant un grand producteur d’or pas si éloigné de l’Iran. Il n’y a donc pas que la France et la Russie à flairer de bonnes affaires du côté persan…

ArmtopComment s’est-elle déroulé ? Mandaté par le WGC, le cabinet australien GIR a rassemblé des éléments sur le sujet entre juin 2004 et juillet 2005. Ses analystes se sont rendus 3 fois en Iran pour une durée totale de 8 semaines, durant lesquels il a rencontré 73 autorités gouvernementales et commerciales à Téhéran comme dans les principales villes du pays. Le GIR s’est également rendu durant trois semaines dans les pays voisins, notamment à Dubai et en Turquie, où il a rencontré « 48 acteurs de marché pertinents ». En Iran, le TPO a relayé l’action du GIR en enquêtant auprès des 15.500 boutiques de joaillerie que compte le pays.

Les principaux résultats : l’Iran fait presque jeu égal avec l’Arabie saoudite

Nigel Desebrock ouvre ainsi son article : « Selon le GIR, le marché de l’or iranien a été fortement sous-estimé ces dernières années parce qu’il n’apparaît tout simplement pas sur les écrans radar internationaux ».

Et c’est un tort ! « Selon les estimations conservatrices du GIR, la consommation totale d’or [de l’Iran] sous la forme de joaillerie, de lingots et de pièces, et en incluant environ 35 tonnes provenant du recyclage, a été de l’ordre de 139 tonnes en 2004, contre 119 tonnes 2003 et 109 tonnes en 2002 ». Si on ajoute 139 tonnes à la colonne « Total » de 2004, on s’aperçoit que l’Iran aurait alors consommé, il y a deux ans, 4,5% de l’or de joaillerie et d’investissement vendu de par le monde.

Que cela change-t-il ? C’est bien simple : tout. Si nous reprenons le tableau pré-cité à la colonne 2004, on s’aperçoit qu’avec une telle consommation, l’Iran devient presque le premier consommateur d’or du Moyen Orient ex aequo avec l’Arabie saoudite et ses 141,3 tonnes. D’un total de 360 tonnes en 2004 selon le WGC, la consommation d’or de joailerie et d’investissement du Moyen Orient comprenant l’Iran se hisse alors à 500 tonnes (+ 38,5% !!!!). A supposer que la ligne « Autres pays de Golfe » (‘Other Gulf’) du tableau ne comprenne pas les chiffres de l’Iran. Mais on peut raisonnablement supposer que le Koweit, le Qatar, Bahrein et Oman absorbent ce sous-total à eux seuls.

Notre auteur poursuit : « selon le GIR, la consommation estimée de joaillerie de 118 tonnes, en incluant des importations officieuses, placerait l’Iran comme le sixième marché mondial de la joaillerie en 2004 – après l’Inde, les Etats-Unis, la Chine, la Turquie et l’Arabie saoudite ».

Il faut dire que ce pays de 69 millions d’habitants, à majorité Farsi, « a vu sa population augmenter de 57% en 20 ans ». La seule ville de Téhéran est passé sur la période de 7 à 12 millions d’habitants. Le tout dans un contexte domestique où les possibilités d’investissement sont limitées – la Bourse de Téhéran ne cesse de chuter -, où avec une croissance du PIB d’environ 5-7% ces dernières années, l’inflation varie entre 14 et 17% l’an. La monnaie nationale, le rial, a chuté de 25% par rapport au dollar américain sur la même époque. Pour couronner l’ensemble, l’auteur ajoute un facteur géopolitique et insistant sur le rôle du « sens national aigu de l’insécurité aggravé par l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis », qui contribue à doper les ventes de métaux précieux.

Le marché de l’or iranien en cours de normalisation

D’abord ignoré en 1979, le marché de l’or a regagné de son intérêt auprès des autorités politiques de Téhéran. En 2005, l’Etat s’est lancé dans un politique de mise sous licence des fabricants de bijoux qui n’en ont pas, chacun se voyant attribuer un code d’identification. Parallèlement, Téhéran a réformé son système de poinçons : seuls les alliages de 22, 18 et 14 carats seront légaux. A côté des mentions « K22 », « K18 » et « K14 », les fabricants de bijoux devront graver leur code d’identification. Tout cela donne un cadre légal plus clair au marché iranien des bijoux.

Ce qui facilite aussi l’exportation : le TPO, l’organisation iranienne d’aide à l’exportation, s’est lancé en 2005 dans un programme de promotion de la bijouterie iranienne à l’étranger. Elle a ouvert l’année passée un bureau à Dubai. Même si en 2004, moins de 4 tonnes de joaillerie sont sorties d’Iran.

Toujours selon Nigel Desebrock, le droit de douane de 4% prélevé sur les importations de lingots d’or serait en cours de révision.

Un marché de la joaillerie en plein essor

Les bijoux. Les 30 provinces d’Iran comptent 15.500 points de vente de joaillerie, un nombre qui s’est accru de 20% sur les cinq dernières années. Le GIR note que la consommation de joaillerie du pays représente « seulement » 30 grammes de vente d’or par jour ouvré et par échoppe. En outre, le pays compte, selon le TPO, 6.000 fabricants de bijoux.

Daryai_noorLe bijou dominant est le bracelet, qui emporte à lui seul la moitié du marché. Selon le GIR, les bijoux iraniens traditionnels représentent 70% des ventes du pays, les 30% restants étant composés de bijoux de style européen.

Photo : une partie des bijoux de la couronne d’Iran, le diamant de 186 carats « Darya e Noor » (‘Mer de lumière’).

Comme en Inde, l’achat de bijoux répond aussi à une logique d’investissement : « les bijoux en or sont achetés en tant que parure, mais la dimension d’investissement reste extrêmement importante ». La preuve : « les achats de bijoux destinés au client lui-même représentent 60% du total des ventes, suivis par les achats à l’occasion de mariages (25%) et à titre de cadeau dives (15%) ».

Les lingots. Nigel Desebrock indique qu’en dehors des lingots importés, une quantité impressionnante de lingots provenant de vieil refondu circule dans le pays. Plus d’une centaine de petites fonderies, travaillant de concert avec des essayeurs privés qui « labellisent » le lingot, alimentent ce marché de l’or de seconde main ; tout en confirmant l’importance de la dimension d’investissement dans l’achat de bijoux. Le prix est fixé en rials par meshgal, une unité traditionnelle persane pesant 4,608 grammes.

Azadi_1 Les pièces. Souvent offertes à l’occasion de fêtes, les pièces « azadis » (« Liberté », voir la fin de cet article), frappées en Iran, sont les plus répandues. 22 millions d’azadis (139 tonnes) auraient été frappés depuis 25 ans, selon l’article. Elles sont distribuées par l’intermédiaire de plus d’une centaine de boutiques numismatiques.

Et pour finir…

En conclusion, Nigel Desebrock indique que « l’étude sur l’Iran indique que l’importance du marché de l’Iran a été sous-évaluée ces dernières années ». Plus surprenant, l’étude indique aussi que la forte hausse de la consommation turque dernièrement enregistrée s’explique en bonne partie par des réexportations vers les pays voisins : « ces trois dernières années, la Turquie a fortement développé son rôle de plaque tournante de lingots vers l’Iran et les autres pays de la région ».

Notre principale source pour cet article :

The Alchemist est la publication mensuelle du London Bullion Market Association, le marché international de l’or de la place de Londres.

(15 commentaires)

  1. Très intéressant ! Cet article amène deux réflexions :
    1. l’or augmente en nos temps troublés… comme le pétrole. Mais les marchés sont différents : on consomme du pétrole et on investit dans l’or, ce qui est fondamentalement différent ! De là à dire que l’Iran a intérêt à faire augmenter le prix du brut pour financer ses achats d’or…
    2. ce sont les particuliers qui achètent tout cet or, pas la banque centrale iranienne. L’Iran ne peut donc s’en servir comme arme économique contre les Etats-Unis.
    J’ai lu que l’Inde était actuellement le premier consommateur d’or au monde, ayant même dépassé la Chine. Ces deux pays ont en commun l’émergence d’une classe moyenne de plus en plus à même de consommer et… d’investir dans des valeurs sures.
    Cela voudrait-il dire qu’en Iran République Islamiste une classe moyenne est en train de se former ? Et qui dit classe moyenne dit poussée des revendications sur les libertés… Une attitude franchement contre révolutionnaire pour un régime ultra-religieux.
    Décidément l’Iran me semble un pays plein de contradictions.
    Merci Elisabeth. Grâce à vous, le moyen orient nous livre peu à peu ses secrets !

  2. Merci Emmanuel !
    un élargissement des connaissances du marché qui sera profitable !
    Tu vas bientot remplacer LE WGC avec tes statistiques !
    Le problème……c’est de les classer !
    Comme j’ai pu communiquer l’état du stock de Lyxor GBS
    as tu pensé à faire un regroupement statistique des stocks d’or ou d’argent de tous les fonds qui commencent à ammasser dans les chambres fortes
    Le WGC publie le stock des banques centrales sur un seul et unique tableau !
    Quand aurons nous l’état des stocks des ETF et des fonds d’investissements sur un seul tableau……..
    pour vraie boussole d’investissement ?.

  3. Emmanuel !
    En réponse à ta question d’hier,
    Tes deux derniers articles se retrouvent sur le
    « BLOG FINANCE » et non sur « METAUX PRECIEUX »
    Ce qui altère le classement !
    Mais, si tu as plus de visites ici, alors c’est mieux !
    maintenant, je sais ou les retrouver

  4. merci à tous , vraiment tres tres interessant et enrichissant ce blog 😉 !!! super comme sujet Emmanuel !

  5. « depuis le renversement du Shah d’Iran, mis en place par les puissances occidentales » …. Emmanuel avoue !!! c’est voulu l’ambiguite …?
    tout le monde que ce sont les USA qui ont mis en place le Shah lors de la 2eme guerre mondiale … mais qui l’ont fait partir par la suite , pour le pétrole à chaque fois d’ailleurs.
    D’ailleurs ils ne s’en cachent absolument pas et l’on trouve tres facilement sur Internet – certes en anglais- les operations associées, avec leurs noms de code à la clé …
    Bon alors lapsus significatif … ambiguite volontaire ?
    dis-y nous Emmanuel …. 😉

  6. Bonsoir tout le monde,
    1. A Panama :
    Sinon, il est vrai que l’Iran, gros pays de 70 millions de citoyens, doit avoir une classe moyenne. Elle ne doit pas être bien nombreuse, et sa fraction politiquement libérale semble très vulnérable à l’appareil d’Etat islamique en place.
    En effet, ce sont les Iraniens qui achètent de l’or, notamment des pièces d’or Azadis que frappe la Banque nationale d’Iran avant de les revendre aux particuliers. Elle en frappe des tas, en ce moment, l’offre est insuffisante en ce moment. L’or qu’elle frappe, il faut bien qu’il vienne de quelque part.
    Je n

  7. pas de pb , ce n’était que de l’humour de ma part . mais c’est vrai que cela peut surprendre … et surtout etre lu selon les deux sens … 😉

  8. « En conséquence, les données sur son économie sont rares et elles passent difficilement les frontières.  » … je confirme … 🙁

  9. Merci Emmanuel de m’avoir répondu sur les stocks d’argent qui sont difficilement évaluables !
    Mais en citant Lyxor qui publie un stock d’or, je ne parlais pas d’argent métal mais d’or !
    Est ce que l’ETF suisse sur l’or publie ses stocks ?
    est ce que l’on connait d’autre ETF qui publient leurs stocks ?
    Pour moi, le marché de l’or est primordial !
    merci

  10. Superbe article.
    A t on une estimation des stocks de la banque centrale iranienne ?

  11. Bonjour à tous,
    D’après le site de la Bourse suisse SWX, il existe 1.529 parts d’ETF ZK Gold. Soit une malheureuse tonne et demi.
    Voir :
    http://www.swx.com/market/quote_chart_fr.html?id=CH0024391002CHF4
    Pour ce qui est des réserves d’or de l’Iran, difficile à dire. Dans son bilan 2004, la banque centrale iranienne indiquait détenir sur un ligne des « Free gold holdings » représentant, à cette époque et d’après mes calculs, 31,2 tonnes d’or.
    Mais la banque n’indique pas la proportion d’or dans ses réserves de changes, tout en précisant qu’il y en a bien dedans.
    Mystère…
    EG

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