La Russie embarque bel et bien à bord d’EADS : la banque publique russe Vnechtorgbank (VTB) a passé la barre des 5% du capital du groupe européen d’aéronautique et de défense EADS, annonce un porte-parole du groupe européen d’aéronautique et de défense.
Pour rappel, l’Etat français détient 15% du capital d’EADS, le groupe Lagardère 7,5% et le groupe allemand DaimlerChrysler 22,5%.
VTB a informé le groupe aéronautique qu’elle avait acheté une part de 5,02% d’EADS, soulignant que cette prise de participation ne remettait pas en cause les équilibres actuels du pacte d’actionnaires établi entre Français et Allemand.
Cette déclaration d’EADS confirme des informations qui avaient déjà circulé fin août dans la presse russe et dont nous vous avions informé mais que ni la banque russe, ni le groupe européen, ni le gouvernement français n’avait alors commenté.
Selon une source proche du consortium européen, la Vneshtorgbank aurait commencé à acheter des actions EADS sur le marché au début de l’été, effectuant des transactions très insignifiantes. A en juger par les cotations, ces deux derniers mois un paquet de 4,8% d’actions d’EADS aurait coûté à la VTB environ 1 milliard de dollars. Un fonctionnaire haut-placé avait alors confirmé que la Vneshtorgbank avait acheté environ 5% des actions d’EADS. Une source proche de la banque publique a même ajouté que l’achat d’actions EADS continuait, et que la VTB dépensait pour cela une somme allant jusqu’à 1,2 milliard de dollars.
La Vneshtorgbank n’aurait pas l’intention de vendre ces actions après une hausse éventuelle, mais au contraire de consolider cette part, et « effectuer une intervention de l’Etat », ce qui assurera la possibilité de participer à la direction d’EADS.
En tout état de cause, il est impossible pour un groupe d’accéder au conseil des directeurs sans bénéficier du soutien de la compagnie allemande DaimlerChrysler ou du holding français SOGEADE. Selon les statuts d’EADS, seuls ces deux actionnaires ont le droit de vote lors du choix des membres du conseil.
La transaction de la Vneshtorgbank ne devrait être alors qu’un premier pas. La question de l’accroissement de la part de la Russie dans EADS et de sa participation à la direction pourrait être soulevée lors de la rencontre tripartite Poutine-Merkel-Chirac prévue pour la deuxième quinzaine de septembre.
La prise de participation russe dans le groupe européen – opération d’une valeur de quelque 885 millions d’euros sur la base des cours actuels – pourrait aider Airbus dans les négociations en cours concernant le renouvellement des longs-courriers russes. La compagnie publique Aeroflot (détenue à 51 % par l’Etat), qui envisage l’achat de 22 avions de ligne, devrait annoncer d’ici à la fin de l’année lequel des prestataires entre Airbus et Boeing aura remporté le marché estimé à 3 milliards de dollars.
EADS est également pressenti pour devenir le principal partenaire étranger du géant aéronautique public russe créé en février dernier pour rassembler les différents constructeurs d’avions russes. La Russie souhaite en effet accroître son rôle dans le domaine aéronautique.
Soucieux de ranimer ce secteur, M. Poutine a jeté les bases, en février 2006, de la création d’un consortium aéronautique unifié (OAK) où ont été rassemblées les principales unités de constructions civiles et militaires du pays (Soukhoï, MiG, Tupolev, Iakovlev, Irkout). C’est à l’OAK, dont la création sera formalisée en septembre, que reviendront au final les actions acquises par la Vnechtorgbank. Fort de sa coopération avec la Russie, EADS serait le groupe étranger le plus à même de prendre des parts dans ce consortium, via de potentielles participations croisées.
Le groupe européen possède déjà une participation de 10% dans le constructeur privé d’avions de combat Irkout, l’un des deux constructeurs des chasseurs Soukhoï. EADS dispose également d’un centre d’ingénierie local où travaillent 120 personnes. Airbus, contrôlé par EADS, pratique – tout comme son concurrent américain Boeing – la sous-traitance délocalisée en Russie afin de réduire ses coûts, un ingénieur russe étant payé cinq fois moins qu’un ingénieur occidental. En juin 2006, Irkut et Airbus se sont engagés à créer une entreprise mixte spécialisée dans la reconversion d’Airbus A320 et A321 en cargos.
Les autorités russes envisagent actuellement d’alléger les contraintes imposées aux investisseurs étrangers dans le secteur de l’aviation commerciale. Une compagnie pourrait ainsi être détenue à 49% par des capitaux étrangers, alors que ce plafond est fixé pour l’instant à 25%.
Les analystes russes précisent quant à eux que l« ‘ère Poutine » s’achèvera dans deux ans. L’arrivée d’un nouveau leader, même s’il appartient à la même équipe que le président actuel, entraînera un nouveau repartage de la propriété. Par conséquent, le meilleur moyen de conserver la fortune pour ceux qui ont des doutes sur leurs perspectives sous le nouveau pouvoir est de la transférer à l’étranger.
La tentative avortée du chef de Severstal Alexeï Mordachov de fusionner avec Arcelor, deuxième producteur mondial d’acier, a été présentée non pas comme un transfert par l’homme d’affaires russe de ses capitaux à l’étranger, mais comme l’absorption du numéro un mondial de la sidérurgie par un entrepreneur russe, et comme l’accès du capital russe aux actifs européens prometteurs. La déclaration selon laquelle en achetant des actions la banque publique russe essaie d’accéder à la direction du consortium aéronautique européen pourrait apparaître cette fois-ci comme un argument favorable à l’exportation des capitaux.
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