Bras de fer entre Freeport et Jakarta à Grasberg

Grasberg Connaissez-vous Grasberg ? C’est un lieu-dit d’Indonésie, précisément dans la province d’Irian Jaya (« l’Ouest Victorieux), cette île dont la moitié Est dépend de l’archipel indonésien et la partie Ouest de l’Etat de Papouasie-Nouvelle Guinée. En dépit de sa grande superficie, il s’agit de la partie la moins peuplée d’un pays de 240 millions d’habitants. Dans la jungle d’Irian Jaya, on trouve quelques Papous, mais aussi des montages, des mouvements séparatistes comme au Timor, des militaires de Jakarta.

Sans oublier des ressources naturelles qui font aujourd’hui débat ! Tant et si fort que l’exploitation de Grasberg (photo), la plus grande mine cuprifère et aurifère du monde, a été ce matin totalement arrêtée suite à des heurts avec les forces de l’ordre.

Vous avez dit Grasberg ?

Au Sud-Ouest de la province, on trouve toute une série de lieux dont les noms rappellent le passé colonial allemand. Notamment, dans les montagnes du Surdiman, l’Erstberg et le Grasberg.

Ammapare Depuis 1967, la compagnie américane Freeport McMoran Copper & Gold, basée à la Nouvelle-Orléans, exploite des mines en Indonésie. Comptant parmi les producteurs d’or et de cuivre, elle exploite là-bas le plus important gisement d’or, à Grasberg. Située à 4.000 mètres d’altitude et employant des milliers de salariés, la mine à ciel ouvert du Mont Grasberg voit passer un ballet continuel de camions qui desservent des pelleteuses géantes ; puis le tout est emmené vers le port d’Amamapare (photo) pour exportation. Selon le site internet de Freeport, chaque tonne de minerai extrait de cette mine contient « approximativement 30% de cuivre, et à peu près une à deux onces d’or et d’argent ». Autant dire des proportions élevées pour un gisement majoritairement à ciel ouvert, ce que la société confirme en parlant de site « low cost ».

Selon Freeport, 16,1 milliards d’onces de cuivre et 23,30 millions d’onces d’or ont été extraites de la mine depuis son ouverture en 1988. Les réserves de Grasberg sont estimées à 40 milliards d’onces de cuivre et 46 millions d’onces d’or.

Pratiquement, la mine de Grasberg est exploitée par la société de droit indonésien PT Freeport Indonesia (PT-FI), dont sa maison mère contrôle 81,3% des parts directement, ainsi que 9,35% de mieux par l’intermédiaire d’une filiale locale entièrement consolidée, PT Indocopper. Et enfin, 9,35% du capital est détenu par le gouvernement indonésien. Mais ces proportions ne donnent plus satisfaction aujourd’hui.

Guerre des chiffres : les positions indonésiennes

Selon le ministère des Finances de Jakarta, cité par le quotidien Jakarta Post, grâce à sa participation dans FT-PI, « les royalties touchées par le gouvernement indonésien se montent de 25 à 30 millions de dollars par an« . Il faut savoir que Jakarta ne touche directement que 20% des royalties, le solde revenant aux collectivités locales d’Irian Jaya. Toujours selon le ministère, FT-PI paie également des impôts sur les sociétés au gouvernement, à hauteur de 168 millions de dollars en 2004.

La région indonésienne de Papouasie a l’intention d’acquérir la part de PT Indocopper dans PT-FI, mais a du mal à mobiliser les 700 millions de dollars nécessaires. Globalement, elle souhaite depuis longtemps réviser à la hausse la quote-part revenant aux Indonésiens, et presse le gouvernement de lui emboîter le pas.

Jakarta en renfort

Ce qui semble désormais être le cas. L’Etat indonésien semble avoir pris la mouche contre Freeport : le vice-président indonésien Yusuf Kalla, un ancien homme d’affaires dont le parti PAN tient le dixième de l’Assemblée parlementaire, a déclaré le 9 février dernier qu’« avec la hausse des cours de l’or et du cuivre, l’Indonésie devrait recevoir le double ou le triple de sa part actuelle ». Et lui d’ajouter : « la part de la province [de Papouasie, la plus pauvre du pays, NDLR] est bien limitée par rapport aux bénéfices encaissés par Freeport ».

Sans détour, il a précisé qu’il chercherait à revoir les contrats de firmes étrangères présentes en Indonésie, en instituant notamment une révision périodique des contrats tous les cinq ans. Rappelons que ceux de Freeport ont été renégociés en 1973 et 1991, sous le régime autoritaire de Suharto (1968-1998), et qu’ils portent sur une durée de 30 ans.

Appuyé par nombre d’organisations non gouvernementales écologistes, le ministère de l’Environnement d’Indonésie accuse Freeport McMoran de polluer l’environnement de Grasberg. Et le ministère de l’Energie et des Ressources minérales a indiqué mardi, toujours selon le Jakarta Post, que « le gouvernement reverra l’accord minier de Freeport s’il est prouvé par une commission interministérielle [en cours de constitution, selon les communiqués de Yusuf Kalla, NDLR] que la compagnie a pollué le site ».

Nombre d’ONG comme la Fédération internationale des Droits de l’homme (FIDH) épinglent Freeport pour ses rapports avec les autorités militaires qui « protègent » lourdement la mine. Selon un article paru dans le New York Times en décembre dernier, Freeport aurait versé aux forces de l’ordre présentes à Grasberg environ 20 millions de dollars de 1998 à 2004 pour assurer sa « sécurité ». L’ONG Global Witness a également rapporté des pratiques similaires.

Après la parution de cet aticle, le ministère indonésien de la Défense a appelé au lancement d’une enquête sur ce sujet. De même que le contrôleur financier des fonds de pension de la ville de New York, actionnaire de Freeport, qui a demandé en janvier au ministère de la Justice des Etats-Unis et à la SEC, la COB américaine, d’ouvrir une information sur ce sujet.

Et la version Freeport McMoran

Fpmcmologo_2Selon son rapport annuel 2004 cité par Dow Jones Newswires, Freeport MacMoran (logo ci-contre)a versé au total 260 millions de dollars aux différents instances indonésiennes cette année-là. Le rapport ajoute que les retombées économiques de Grasberg pour le pays se sont élevées à 3 milliards de dollars sur la même période. Selon Freeport, l’accord de 1991 comprend un impôt sur les sociétés à hauteur de 35% et des taxes sur les dividendes de 10%.

Piquée au vif par ces attaques répétées, Freeport a fait savoir dans un communiqué le 10 février dernier que « les termes du contrat ne peuvent être modifiés que par un accord entre les deux parties ou selon les stipulations expresses dudit contrat ». Et d’ajouter, confiant ou menaçant, au choix : « ce contrat n’a jamais été amendé et nous comptons sur le fait qu’après réflexion, le gouvernement ne demandera pas de tels changements ».

Freeport a admis avoir apporté un « soutien financier » aux forces de l’ordre locales pour leurs infrastructures et leur logistique , selon une lettre de son directeur général Richard Adkerson publiée sur le site internet de l’entreprise le 11 janvier. Dans une dépêche du 11 février dernier, Dow Jones indique que le président du groupe William Collier III a décliné une demande de précisions sur ce sujet, arguant que ces informations « n’entraient pas dans le cadre des relations publiques la compagnie », selon DJ.

Rien ne va plus : Grasberg au point mort

Ce matin du mercredi 22 février, la partie de bras de fer a été remplacée par une rixe. Selon l’Associated Press citant le chef local de la police, « 400 mineurs illégaux [miséreux vivant des rejets de la mine, NDLR] ont mis en place des barricades de pierre et de bois sur la route desservant la mine de Grasberg » et menant au port d’Amamapare. Selon Dow Jones, les violences auraient commencé alors que les forces de sécurité ont tenté d’éloigner ces mineurs « illégaux ». Deux gardes de Freeport ont été blessés par des flèches, selon les agences de presse locales, ainsi qu’un policier et deux mineurs. Des négociations sont en cours entre les mineurs et la police. « Quoi qu’il en soit, ils veulent rencontrer le patron de Freeport », a précisé un porte-parole de la police.

« Les opérations d’extraction et de raffinage ont été temporairement suspendues par mesure de précaution », a indiqué par la suite le responsable local de Freeport Siddharta Moersjid, avant d’ajouter, sur un ton pour le moins affirmatif : « les autorités indonésiennes travaillent à résoudre le problème de manière pacifique et expéditive (sic, NDLR)« .

Le dernier arrêt de la mine remonte à 2003, suite à un glissement de terrain qui avait causé la mort de plusieurs mineurs. En 2002, des indépendantistes papous avaient attaqué à l’arme automatique des installations contiguës aux mines, tuant deux Américains et un Indonésien.

Voilà qui ajoute davantage de tensions entre Freeport et l’Etat indonésien. Reste à savoir qui remportera cette partie de bras de fer, entre Jakarta et une compagnie américaine bien en cour à Washington.

Lire aussi :

La fin d’une (première) consolidation sur le marché de l’or ?

Le cuivre mène un train d’enfer

(17 commentaires)

  1. décidemment , les matieres 1eres, quelques qu’elles soient sont des enjeux telles qu’elles engendrent des conflits de part le monde
    pour ma part, j’ai un oeil sur la Colombie ces temps-ci…

  2. Bonsoir Emmanuel,
    Je ne connais pas Grasberg, qui effectivement sonne allemand, ja. Plusieurs de nos amis travaillent là-bas, mais pas dans un lieu aussi reculé.
    Petie anecdote, on a trouvé une contrée où l’homme n’a jamais pénétré, pas très loin de là. Je pense avoir archivé l’article.
    Article très intéressant, merci.
    Marie

  3. Salut tout le monde,
    Une BD de Corto Maltese, « La Ballade de la Mer salée » je crois, se passe dans cette région du monde au moment où, en 1914, Allemands et Anglais se font la Première guerre mondiale… en Océanie.
    J’ai trouvé un lien qui détaille le bref passé « allemand » de cette région du monde – que les Allemands ont annexé vers 1880 car justement, personne n’y avait mis les pieds. Des expéditiosn de découvertes de terres encores vierges seront organisées dans ce coin du monde, de tête, jusque dans les années 1930.
    http://en.wikipedia.org/wiki/German_New_Guinea
    Aujourd’hui encore, un peu à l’Est, en Papouasie Nouvelle Guinée, un archipel et une petite mer portent encore le nom de Bismarck.
    C’était la minute historique du Blog finance !

  4. L’Histoire et la Geographie aide bcp à comprendre la finance !!! car les enjeux stratégiques des regions guident souvent leur economie .

  5. Bonsoir à tous,
    Ugo Pratt et Corto Maltese !
    Ah si tu aimes ta BD, tu vas aimer le dossier que je prépare pour le blogart. J’ai interviewé Gilles Chailet, que j’adore et avec qui nous avons une passion commune : Rome. (La Rome des Césars, je recommande !)
    A bientôt, M

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